Irvin Yalom, Le problème Spinoza

YalomIrvin Yalom, professeur émérite de psychiatrie à Stanford, combine avec une surprenante habileté, entièrement originale, la psychanalyse et la philosophie dans la grande majorité de ses ouvrages.

Celui-ci évolue en parallèle dans deux époques, où vivent respectivement les deux héros, situés dans deux pôles de personnalité et de pensée opposés et pourtant liés entre eux de façon inattendue.

Il s’agit d’abord du brillant philosophe du 17e siècle Baruch Spinoza, dont la famille avait émigré du Portugal aux Pays-Bas, qui fut excommunié en 1656, à l’âge de 23 ans, de sa synagogue d’Amsterdam et l’ensemble de la communauté juive, à cause de ses idées jugées subversives par rapport aux croyances « orthodoxes ». Il s’est ensuite consacré à l’étude et à l’écriture philosophiques, en gagnant sa vie de manière indépendante, comme polisseur de verres.

En deuxième lieu, dans le cadre du 20e siècle, nous suivons l’évolution de Alfred Rosenberg, auteur de livres de propagande défendant les positions antisémites et la « supériorité de la race aryenne » du IIIe Reich. Il fut le responsable qui avait confisqué la bibliothèque de Spinoza, entre autres biens culturels juifs, en 1941.

À travers les âges, le « problème Spinoza » persiste : le grand rabbin d’Amsterdam considère ainsi l’attitude fâcheuse du jeune Baruch (ou Bento), doté d’une intelligence aiguë et d’une culture déjà vaste, mais suivant jusqu’au bout son esprit critique, en remettant en question toutes les interprétations établies des livres sacrés, voire tous les dogmes du judaïsme. Pour Alfred Rosenberg ce problème prend une autre forme : comment est-ce possible qu’un penseur juif nommé Spinoza soit le modèle de son propre héros, Goethe, représentant de l’esprit allemand par excellence ?

Le lien de Rosenberg à Spinoza sera déployé au fil des pages, alors qu’en même temps nous assistons à une analyse savante, fine et fluide à la fois de la pensée rationnelle, libre et ouverte du philosophe et des croyances racistes, fondées sur des données historiques, psychologiques, pragmatiques qui composaient le monde des membres du parti nazi trois siècles plus tard.

On peut s’étonner évidemment en constatant que parmi les représentants de ces deux époques, le penseur qui semble le plus proche à notre vision actuelle du monde et des hommes n’est pas le plus récent. La lecture de ce roman au rythme soutenu nous invite indéniablement à réfléchir encore sur de nombreux sujets toujours cruciaux, comme l’importance d’oser de suivre ses propres idées, même en s’opposant aux croyances courantes, les raisons qui peuvent toujours pousser les hommes à des attitudes discriminatoires, la ligne si fragile parfois et si difficile à définir avec certitude entre le bien et le mal…

 

Aikaterini Lefka

 
Irvin Yalom, Le problème Spinoza, trad. Sylvette Gleize, Le livre de poche, 2014, 552 p.
 

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