Le poète belge Serge Delaive livre ici ce qui est peut-être son grand œuvre poétique : un long poème d’une seule coulée, qui prend le fleuve Meuse à sa source et le suit jusqu’à son embouchure dans la mer du Nord. C’est le voyage d’un homme dans sa propre vie, dans sa mémoire, dans le monde qu’il habite. Une épopée personnelle, un texte lyrique et prosaïque, impertinent et grave, accompagné de nombreuses photos de l’auteur, dans un échange fécond entre lettre et image. À lire d’une traite, puis à relire souvent. La poésie reste vive et actuelle. elle demeure pour d’aucuns — auteurs, lecteurs — le seul moyen de « passer » certaines choses.
Gérald Purnelle
Fondées par le poète et imprimeur artisan Marc Imberechts et longtemps sises à Soumagne, les éditions Tétras Lyre avaient émigré à Bruxelles sous l’égide du poète cinéaste Maxime Coton. Depuis 2014, elles sont de retour à Liège, dans les très bonnes mains de Primaëlle Vertenoeil. Pour son premier titre, celle-ci a réussi un coup de maître en publiant Meuse fleuve nord de Serge Delaive, un long poème en vers libres suivant librement le fil du fleuve au gré de mots et de photographies. Il ne s’agit donc pas d’un recueil habituel, mais d’un véritable livre, consacré à un seul objet, la Meuse, dont les vers, épiques et puissants, épousent le mouvement.
Delaive n’est pas le premier poète à consacrer ainsi un long poème à un fleuve : la Seine a été décrite par Francis Ponge et l’Escaut par Franck Venaille. Mais il procède de façon très personnelle, en mariant trois éléments : d’une part, il raconte son voyage au long du fleuve, de sa source française à son embouchure néerlandaise en passant par la traversée de la Wallonie, d’autre part, il multiplie les tableaux descriptifs et les références littéraires, charriées par le flux du texte. Et enfin, il illustre son propos par des photographies prises en cours de route.
À la fois poète et romancier (il a obtenu le prix Rossel en 2009 avec Argentine), Serge Delaive – dont les grands thèmes sont le voyage initiatique, la dualité de l’être (à travers la figure de son double, Lunus) et la recherche de soi toujours à recommencer – a peut-être signé avec Meuse fleuve nord son chef-d’œuvre. En effet, les qualités du poète (le travail précis sur la langue, sur la sémantique et sur le rythme) épousent ici les qualités du romancier : le souffle, la durée, la construction ambitieuse. Le texte est fort et régulier, sans temps mort, avec des moments faciles et entraînants, des passages qui demandent davantage de concentration, mais sans halte, sans baisse de régime. Delaive a inventé une forme de coulée continue des vers, qui passent naturellement d’un sujet à l’autre, par glissement, une incise devenant une phrase principale, ou l’inverse, sans laisser au lecteur le temps d’interrompre sa lecture. Le ton est à la fois célébratif et impertinent, épique sans aucune emphase, moderne en retrouvant un thème ancestral. En outre, un bel équilibre s’impose d’emblée entre la force de vie du fleuve, rendue par le rythme des vers, et la mélancolie du narrateur. Comme s’il s’agissait d’un texte écrit à quatre mains : celles de Serge Delaive, que ses lecteurs reconnaîtront, et celle du fleuve lui-même, les grandes mains du fleuve qui nous emportent.
Laurent Demoulin
Serge Delaive, Meuse fleuve nord, Tétras-Lyre, 2014.Voir aussi Serge Delaive, Meuse fleuve nord
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