Gérard Mans, Poche de noir

MansMoi j’adore les poulpes en salade et les romans existentiels. La littérature de l’absurde m’aide à vivre, tout simplement. Des images littéraires me hantent depuis plus de trente ans. La banquette du tramway qui devient, pour Sartre, « cet énorme ventre tourné en l’air, sanglant, ballonné – boursouflé avec toutes ses pattes mortes ». L’énigmatique  GNAC  de cognac qui clignote au loin, sur un panneau lumineux, dans une nouvelle d’Italo Calvino. Et ce personnage de Raymond Queneau qui, en hommage à Descartes, prend de l’épaisseur au fil du Chiendent, au fur et à mesure qu’il pense et devient ego cogito. J’ai lu Poche de noir avec un même plaisir, comme on mange du chocolat noir, parce que c’est délicieusement amer. Pendant une semaine, je ne lis pas très vite, j’ai pris ce roman pour aller me coucher et je me suis laissé aller à suivre, avec un plaisir toujours renouvelé, l’histoire improbable de ce gardien de musée, devenu poulpe, qui est allé se faire écraser entre deux compactus dans une bibliothèque de Croatie. C’est très intelligent, vraiment,  et drôle. Ça nous fait voyager dans l’Histoire du 20e s ou tout juste à côté. Ça parle du sens de la vie, un sujet toujours passionnant, comme si de rien n’était. Et j’ai suivi avec ravissement les récits de la pute, de l’historien de l’art, du détective et même les histoires moins articulées de l’homme-céphalopode. Et j’ai fini par comprendre que l’on me menait un peu en bateau, mais je me suis laissé faire. La lecture est une belle dérive… « au seul souci de voyager », comme disait Mallarmé. Nous ne sommes pas dupes ! L’énigme policière et le tableau du Caravage n’étaient que de magnifiques prétextes, savamment construits, pour mieux nous égarer dans le plaisir du texte.  L’écriture se suffisait à elle-même, dans une composition polyphonique franchement  jazzy, mais tellement maîtrisée. Et j’adore l’écriture – ici plurielle, jubilatoire – et la musique autant que les salades. Mais si vous voulez en savoir plus sur ce roman, vous lirez cette autre page, un peu plus sérieuse et professionnelle. Gérard Mans a été primé pour cet ouvrage

Stéphane Dawans

 Gérard Mans, Poche de noir, Maeltröm ReEvolution, 2014, 288 p.

 

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