Régis Debray, Jeunesse du sacré

DebrayDans les cours de philosophie du patrimoine, Claudine Houbart et moi utilisons notamment les théories de Riegl et Debray pour mettre en évidence le jeu complexe et contradictoire des valeurs qu’un projet de conservation ou restauration fait immanquablement intervenir. La médiologie, cette science récente, inventée par Debray,  qui s’intéresse aux médiations techniques et institutionnelles  de la culture, nous est donc d’une grande aide pour parler du monument, qu’il soit trace, forme ou message – en tant que « dispositif mnémotechnique [qui] fut le premier appareil de transmission de l’espèce, bien avant l’écriture ». Au moment où le désenchantement du monde se fait, semble-t-il, de plus en plus cruellement sentir, l’intellectuel-médiologue, consacre un très beau livre au sacré, mais un sacré désacralisé, sans majuscule, anthropologiquement vital, qu’il faut appréhender dans l’espace et le temps, toujours en mouvement, en transformation, au gré de l’Histoire. Ce livre, magnifiquement écrit et illustré, nous permet d’appréhender ce qu’est ce « génie du lieu » auquel les architectes ne peuvent et ne doivent pas rester insensibles. Le sacré, qu’il ne faut surtout pas confondre avec le religieux, s’inscrit bien dans l’espace, il est lisible dans toutes sortes d’indices qu’il nous faut apprendre à décrypter. En tant que membres d’ICOMOS, nous nous sommes engagés à « prôner la conservation des monuments, des sites et des lieux de manière à ce que leur importance culturelle soit retenue comme preuve fiable du passé ». A l’instar de  Sylvianne Agacinski (Volume : philosophies et politiques de l’architecture, Galilée, 1992) et de Régis Debray, nous nous intéressons particulièrement aux problèmes que la réaffectation des lieux chargés de mémoire peut poser quand le capitalisme veut imposer ses lois de la rentabilité – économie du tourisme oblige – au détriment des valeurs patrimoniales. Comme Debray nous avions tellement envie d’écrire : « Quant aux esprits forts qui croient devoir mettre en consigne un mot-valise, qu’ils aillent cuire un œuf sur le plat sur la flamme du Soldat inconnu ou, pis, ouvrir une crêperie sous le Arbeit macht frei d’Auschwitz, et ils nous en donneront des nouvelles »… 

Stéphane Dawans

 

Régis Debray, Jeunesse du sacré, Paris, Gallimard, 2012.

 

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