Luc-Michel Fouassier occupe une position singulière dans le champ littéraire : il s’agit d’un écrivain français qui publie en Belgique, une moitié de ses livres (dont le remarqué Histoires Jivaro, cent nouvelles de cent mots) étant parue aux éditions Quadrature sises à Louvain-la-Neuve et l’autre chez Luce Wilquin, qui siège à Avin, près de Hannut. En outre, son dernier roman, Le Zilien, est inspiré – le livre le souligne de façon explicite – par un grand romancier belge contemporain, dont je ne dévoilerai pas tout de suite ici le nom (le suspense sied aussi aux comptes rendus).
Cela n’empêche pas Fouassier de parler de son grand pays et d’user (pour s’en moquer) de ces acronymes dont nos voisins sont, dit-on, friands : une ZIL étant une Zone d’Intervention Localisée, par dérivation, un « zilien » désigne un professeur remplaçant. Le récit se centre donc sur les aventures, très peu spectaculaires, et les mésaventures, plus agaçantes que dangereuses, d’un professeur dilettante, qui attend, dans la salle d’une école, que l’on ait besoin de lui. La qualité principale de ce zilien est certainement sa patience : cela ne le gêne en rien, malgré l’idéologie dominante qui fait, plus que jamais, du travail acharné la première des vertus, d’être payé à ne rien faire. Mais c’est avec flegme, sans provocation, en usant de la ruse et du silence et en affichant de grandes connaissances sur de nombreux sujets, que ce héros passif, à la fois très bien élevé et culotté, se protège de ceux qui ne supportent pas son inertie. Il s’ensuit un récit plein d’humour : Fouassier manie avec habileté les ruptures de ton stylistiques, les sous-entendus, les métonymies sarcastiques, les ellipses narratives et, surtout, l’ironie. Celle-ci épouse dans ce roman plusieurs formes, de la remarque caustique à la fausse innocence (l’ironie socratique, à la manière de l’inspecteur Columbo) en passant par l’ironie du sort – le sort s’avérant à la fin du roman paradoxalement favorable au héros.
Le zilien a des ancêtres littéraires, comme le souligne une courte préface : Monsieur Teste de Valéry, Monsieur Songe de Pinget, Palomar de Calvino (Plume de Michaux, aurais-je envie d’ajouter) et surtout, Monsieur de Jean-Philippe Toussaint (nous y voilà) : c’est d’ailleurs ce dernier qui signe la préface en question. Fouassier ne cache donc pas la source de son inspiration, mais il ne se prive pas de conférer à la peinture d’un héros à la Toussaint, inactif, poli et sans-gêne, un message personnel. Car l’humour, loin d’être inoffensif, permet à cet écrivain, qui est par ailleurs un enseignant, de procéder à une vive critique d’une forme de pédagogie contemporaine, hypocrite, bavarde et mièvre.
Laurent Demoulin
Luc-Michel Fouassier, Le Zilien ou Survie et triomphe d’un enseignant dilettante, Éditions Luce Wilquin, 2014, 96 p.Retour à la liste des Romans et nouvelles
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