Juste ciel est le vingtième roman qu’Éric Chevillard publie aux Éditions de Minuit depuis Mourir m’enrhume, paru en 1987. Sa production, très diversifiée, ne se limite pas à ses romans : Chevillard est l’auteur de livres divers sortis chez plusieurs éditeurs, il tient un blog sur Internet et une chronique critique dans Le Monde des Livres. Ainsi, s’exprime, sur de nombreux supports, une voix tout à fait originale, qui se caractérise par un humour mordant, une imagination vraiment foisonnante, une prise de liberté incroyable par rapport aux conventions littéraires en général, romanesques en particulier. Bien entendu, face à une production si dense et si variée, le lecteur ne peut pas exiger une qualité constante : en matière chevillardesque, certaines années sont meilleures que d’autres. Or, 2015 se présente comme un très bon millésime : Juste ciel est une vraie réussite de drôlerie et d’invention.
Le héros, un certain Albert Moindre, se rend compte, dès la première page, qu’il est décédé. Mais, à son grand étonnement, il s’aperçoit qu’il y a une vie après la mort et que celle-ci n’a rien à voir les promesses des religions instituées : elle n’obéit en fait qu’à la fantaisie d’un écrivain. Nulle révélation mystique n’est à attendre ici : Chevillard ne surfe en aucune façon sur la vague du retour du religieux. Et il ne nous livre aucune morale transcendante. Il se contente d’imaginer un autre monde complétant celui-ci, grâce à la littérature (qu’il célèbre en passant et qui se célèbre d’elle-même, de façon pragmatique) et au moyen d’un humour corrosif. Certains passages sont vraiment drôles, comme celui qui voit le héros se rendre au « Bureau des élucidations », où il reçoit la possibilité de « vider les questions qui l’obsèdent » et de « se soulager des interrogations qui le torturent ». Les interrogations dont il s’agit n’ont absolument rien de métaphysique, ce qui produit un contraste comique :
« – […] Tu avais raison, il était dans le court.
– Quoi donc ?
– Le coup droit qui t’aurait permis de remporter le tournoi de tennis intercommunal du Maine-et-Loire, catégorie minimes, qui fut jugé out par l’arbitre, après quoi tu te déconcentras complètement et perdis finalement le match. »
Si une leçon doit être tirée de ce récit inattendu, elle est à chercher non pas dans un espoir chimérique en l’au-delà, mais dans l’évocation de la futilité absurde de nos vies.
Laurent Demoulin
Éric Chevillard, Juste ciel, Minuit, 2015, 141 p.Retour à la liste des Romans et nouvelles
Retour au DOSSIER/ Lectures pour l'été 2015