Christine Montalbetti, Plus rien que les vagues et le vent

MontalbettiSi les romans de Christine Montalbetti comptent parmi ceux que je préfère dans la production romanesque française contemporaine (qui est riche, variée et passionnante, contrairement à ce que répètent les adeptes du roman américain), ce n’est pas seulement en raison de leur intelligence et de leur habileté narrative, digne de Robbe-Grillet. C’est avant tout pour leur écriture : ils sont divinement bien écrits. Il s’agit d’une marqueterie de grand style faite de longues phrases, presque poétiques, proustiennes, nourries d’incises, dans lesquelles sont serties quelques interjections orales, humoristiques et décalées, qui produisent un effet ironique.

Ces romans, tous parus aux prestigieuses éditions POL, sont à présent au nombre de sept. Sans doute peuvent-ils être rangés en deux époques, la première comprenant Sa fable achevée, Simon sort dans la bruine (2001), L’Origine de l’homme (2002), Western (2005), Journée américaine (2009) et L’Évaporation de l’oncle (2011) ; la seconde, plus récente, comptant deux titres : Love hotel (2013) et Plus rien que les vagues et le vent, sorti en 2014, lors de la dernière rentrée littéraire.

MontalbettiLa première manière est basée sur une minoration ludique et ironique de l’intrigue, dont le minimalisme est compensé par un ton humoristique et par la splendeur des phrases évoquée ci-dessus. Le roman est ouvertement fictionnel, mais la narratrice-écrivaine, extérieure à l’histoire, y intervient à l’envi, en son nom propre, pour raconter quelques souvenirs. En elle-même, l’anecdote crée de fausses attentes (L’Évaporation de l’oncle met, par exemple, en scène un héros, parti sur les routes d’un Japon ancestral à la recherche de son oncle, et s’achève sans qu’il n’en trouve la moindre trace), mais ces romans ne sont pas pour autant uniquement formels : les scènes valent pour leur contenu, qui est très souvent de l’ordre de la description de petits bonheurs allègres, d’instants doux et privilégiés, finement évoqués par la plume gracieuse de Montalbetti, comme les retrouvailles entre deux amis sur une terrasse ombragée, alors que le soir tombe lentement. La romancière s’attache ainsi à des mouvements micro-psychologiques comparables aux tropismes de Nathalie Sarraute, mais ce sont des tropismes heureux, alors que Sarraute s’était spécialisée dans les tropismes obscurs, liés à de sourdes dominations et à l’hypocrisie sociale.

MontalbettiLa seconde manière, moins joyeuse, s’ouvre avec Love hotel, roman né du traumatisme consécutif à la présence de la romancière à Tokyo au moment du tsunami et, paradoxalement, au fait qu’elle n’ait rien remarqué du drame. Le narrateur est cette fois le personnage principal du récit, que l’on ne peut confondre avec l’écrivaine dans la mesure où il est de sexe masculin. L’anecdote n’est plus du tout tournée en dérision : il s’agit d’une relation érotique qui a lieu dans l’ignorance totale de la catastrophe, évoquée seulement dans les dernières lignes du roman.

Le dernier roman en date, magistral à plus d’un titre, Plus rien que les vagues et le vent, est également centré sur un narrateur masculin qui s’exprime en « je ». Mais s’il nous parle de son séjour dans l’Oregon, ce narrateur est tout entier tourné vers autrui et raconte les vies des personnages qu’il côtoie. Les nombreux récits enchâssés qui en découlent sont rapides et poignants : ce sont des destins, chaque fois forts, chaque fois captivants, qui rappellent tout autant Simenon que Robbe-Grillet ou Sarraute (car ces histoires reposent sur des rapports familiaux, souvent avunculaires, et procèdent d’une extraordinaire capacité d’identification à autrui, tant de la part du narrateur que de l’écrivaine). La succession effrénée de ces destinées leur confère à la fois une forme de singularité irréductible et, contradictoirement, une espèce de vanité existentielle tout à fait troublante. La fin du roman resserre ces nombreux fils narratifs autour du personnage principal, ce qui se traduit par une densité romanesque et dramatique étonnante. Mais une forme de soupçon reprend ses droits, in extremis, dans le dernier chapitre, grâce à une finale ambiguë et somptueuse, qu’il ne s’agit pas de dévoiler ici. Car ce papier a été écrit dans l’unique espoir de vous faire lire Christine Montalbetti cet été.

Laurent Demoulin

Christine Montalbetti, Plus rien que la vague et le vent, POL, 2014, 284 p.
 

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