Bertrand Joly, Histoire politique de l’affaire Dreyfus

JolyLa simplicité de la thèse développée par Bertrand Joly est en soi scandaleuse : l’affaire Dreyfus fut avant tout une crise, qui n’eut rien d’exceptionnel et surgit, de façon imprévisible mais sans surprise non plus, dans un terreau institutionnel, social et politique qui fut favorable à son amplification. Balayée, du coup, la dimension mystique psalmodiée par Charles Péguy ; place au coup de sonde au cœur d’un régime, la Troisième République, et à l’examen minutieux des alternances systoliques et diastoliques qui l’animent, le secouent, le font vivre et l’usent d’un même mouvement. Le tout basé sur une radiographie de l’opinion française qui bouleverse les schémas admis ; non, toute la France ne fut pas saisie de rage antisémite entre la dégradation du capitaine et sa réhabilitation ; et oui, un dreyfusiste pouvait commettre aussi des erreurs d’appréciation, de jugement, de raisonnement.

Il suffit de se reporter aux six idées reçues sur l’Affaire que Joly se plaît à réévaluer pour prendre conscience de l’ampleur de son travail. Débarrassée des affects, des autocensures et des prudences habituelles, sa recherche redoutablement documentée lui permet par exemple de pouvoir affirmer sereinement que le clivage gauche-droite ne se superpose pas à l’opposition dreyfusard-antidreyfusard. Ou encore que « l’Affaire » ne marqua pas un sursaut intellectuel massif parmi les couches cultivées de la population.

C’est toute une imagerie de l’engagement qui en prend un coup ; une dichotomie très convenance entre bons et méchants qui chancèle aussi. Joly le sait, mais il avance avec une fermeté tranquille : « Replacée dans son contexte exact, l’Affaire, c’est vrai, se banalise un peu et perd de sa flamme romantique, elle tombe au rang de crise politique parmi les autres dans un régime qui les a multipliées, au risque de faire moins vibrer, mais cet élargissement de la perspective permet de mieux comprendre les défaillances du moment, les déceptions ultérieures et le retour des difficultés. »

Frédéric Saenen

 

Bertrand Joly, Histoire politique de l’affaire Dreyfus, Fayard, 786 p.
 
 

<   Précédent   I Suivant   >

Retour à la liste des ouvrages de Non-fiction
Retour au DOSSIER/ Lectures pour l'été 2015