Bruno Deniel-Laurent, L’Idiot du Palais

Deniel-LaurentÀ ceux qui estimeraient toujours inadmissible de choisir un incipit aux allures parodiques tel que « La Princesse sortit à cinq heures. », l’on mettra en main le premier – et atypique – roman de Bruno Deniel-Laurent, L’Idiot du Palais. Ils comprendront que cette petite phrase peut, moins conventionnellement qu’il y paraît, frapper les trois coups d’une tragédie minimaliste et froide, strictement contemporaine.

La logique du Palais où se voit employé le personnage de Dušan participe à un mouvement de luxuriance désenchantée. « Le Palais a toujours raison. Raison de vous engloutir, membre après membre, raison d’exiger votre lâcheté, votre soumission, votre méchanceté. Aux uns il demande des attentes inutiles, aux autres des tâches impossibles. »

Dušan. D’origine serbe. Vingt-cinq ans. Traits et silhouette fins. De tempérament réservé et discret. Rien du molosse à crâne rasé, pupille vide et oreillette vissée à la tempe comme on pourrait l’attendre d’un vigile de base. C’est pourtant ce jeune homme-là qui est investi d’une mission de la plus haute importance : contrôler l’accès au Palais haussmannien du Prince arabe d’Oukhbar.

Ce microcosme démesuré, stuqué, dégoulinant de fastes et d’ors, s’avère également un vivarium dont l’ordonnancement est réglé selon les seuls plaisirs et caprices du Prince, invisible mais omniprésent. Sur les castes qui composent le personnel, l’arbitraire peut s’abattre et recomposer une partie de l’organigramme en un claquement de doigt bagué ; il suffit d’une erreur, d’une maladresse, d’un regard mal posé, d’un mot de trop ou d’un supposé soupir pour que le fautif – ainsi que son responsable direct et ses collègues – paie son impudence, et ce quelle que soit la qualité de son travail ou sa longévité dans la ruche. Un univers âpre, dont le potentat, qui n’est jamais nommé autrement que « Le Prince », pourrait s’appeler Damoclès…

Frédéric Saenen

 
Bruno Deniel-Laurent, L’Idiot du Palais, La Table ronde, 140 p.
 

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