Herman Melville, Bartleby le scribe

MelvilleOn ne se lasse pas de lire et relire ce texte classique de Melville. Bartleby incarne une figure spectrale et énigmatique de la négation, de l’inaction et, à en croire certains exégètes, de la désobéissance civile telle qu’elle fut définie et pratiquée par Henri David Thoreau. Étrange modèle de résistance que celui d’un clerc de notaire qui « aimerait mieux pas » exécuter les tâches qu’on lui impose et se met en arrêt de travail tout en élisant domicile dans son bureau (ou plutôt en l’ « occupant » comme le ferait un gréviste de nos jours). On passe souvent sous silence le sous-titre du récit, « une histoire de Wall Street », lequel apparaît rarement dans les traductions françaises de l’œuvre. Ce dernier nous invite pourtant d’entrée de jeu à considérer le personnage de Melville au travers des rapports socio-économiques de son époque, au-delà de toute analyse psychologique. La « préférence » de Bartleby, c’est aussi celle d’un SDF qui refuse d’être aidé et, par extension, d’être « sauvé » et restructuré au sein de la communauté d’un point de vue autant spirituel que matériel. Sans être aussi célèbre que le « To be or not to be » de Hamlet, le mantra de Bartleby (« I prefer not to »), s’est imposé comme une des plus célèbres répliques de la littérature moderne et a généré de nombreuses analyses et controverses. À force d’être répétée, la formule se vide de son sens au fur et à mesure que le corps de Bartleby se vide – littéralement – de sa substance. L’anti-héros melvillien finira par se laisser mourir de faim après avoir été jeté en prison pour vagabondage (comble de l’ironie pour ce flâneur immobile) – à méditer à l’époque où certains de nos élus européens et américains tentent de rétablir le délit de vagabondage…

Michel Delville

Herman Melville, Bartleby le scribe, Trad. Pierre Leyris, Folio, 1996, 108 p.
 

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