Empruntée au bouddhisme, la pleine conscience a démontré son efficacité dans la lutte contre le stress et la prévention des rechutes dépressives. Tout au long de l’année, Christophe Dierickx, psychologue et psychothérapeute, anime des programmes « mindfulness » ouverts à tous au sein de l’Unité de thérapies comportementales et cognitives de la CPLU (Clinique psychologique et logopédique universitaire) de l’ULg.
À l’heure où l’attention est sans cesse sollicitée, accaparée, disséminée, la présence à soi fait figure de paradis perdu. La « pleine conscience », principe fondamental du bouddhisme, est ainsi devenue un objet de convoitise pour les esprits occidentaux, en quête de l’instant présent toujours en fuite. Considérée par le bouddhisme comme une condition de l’éveil spirituel, l’« attention juste » a ainsi été employée depuis la fin des années 70 dans certaines visées thérapeutiques. Le médecin américain Jon Kabat-Zinn, véritable pionnier en la matière, a d’ailleurs montré dès cette époque l’efficacité de la pleine conscience dans certaines problématiques comme le stress ou la dépression. « Depuis une vingtaine d'années, l'utilisation de la pleine conscience connaît un développement important dans les pays anglo-saxons. Un nombre croissant d'études scientifiques indiquent son efficacité dans la prévention de la rechute dépressive ainsi que dans la réduction des symptômes dépressifs et anxieux susceptibles d'accompagner les pathologies somatiques chroniques », explique Christophe Dierickx.
Un usage thérapeutique ciblé
La pleine conscience, dans sa version « laïque », est ainsi largement intégrée aujourd’hui aux approches cognitivo-comportementalistes dites de la troisième vague, qui préconisent une distanciation vis-à-vis des pensées négatives plutôt qu’une focalisation sur le contenu même de ces pensées. L’intérêt universitaire est palpable : l’ULB comme l’UCL proposent désormais des formations spécifiques dédiées à la pleine conscience. À l’ULg, au sein de la CPLU, Clinique Psychologique et Logopédique Universitaire, Christophe Dierickx a mis en place trois modules différents basés sur cette méthode : le premier dédié à la gestion du stress (MBSR), le deuxième à la prévention des rechutes dépressives (MBCT), le troisième à la gestion des émotions et à l’action en fonction de ses valeurs (thérapie d’acceptation et d’engagement ou ACT). Deux des trois modules s’étalent sur huit semaines à raison d’une séance de trois heures par semaine. Le programme MBSR comprend une journée en silence supplémentaire. « Ces modules sont ouverts tous : étudiants, chercheurs d’emploi, travailleurs, professionnels de la santé... La seule condition est de ne pas être dans le creux de la vague – à moins d’être particulièrement motivé et suivi en parallèle par un professionnel qui connaît la pleine conscience. Car, pour que cela fonctionne, il faut pouvoir mobiliser un minimum de capacité d’attention », explique Christophe Dierickx. Le module ACT s'étale quant à lui sur 3 fois 3 heures et est moins restrictif quant aux conditions d'admission.
Mais en quoi consiste au fond l’« attention juste » ? « La pleine conscience est une qualité de présence et d'attention à l'expérience personnelle telle qu'elle se manifeste sous forme de sensations, pensées, émotions, instant après instant. La présence consciente à soi-même qui est ainsi visée se base sur l'acceptation, la bienveillance et l'absence de tout jugement critique. Elle peut aider à vivre différemment les événements et difficultés de vie en découvrant ses schémas de pensée et de réaction et en développant une meilleure relation avec soi-même », résume Christophe Dierickx. La pratique méditative est traditionnellement utilisée comme un moyen d’atteindre cet état mais ce n’est pas la seule. « La méditation permet de se centrer sur le présent, de se tenir à l'écart des ruminations négatives et de se déconnecter de cette spirale. Dans le module ACT, nous proposons d’entraîner cette capacité par d’autres exercices que méditatifs : des exercices dits "expérientiels". Par exemple, nous demandons aux personnes d’écrire sur une feuille des pensées négatives comme "je suis nul" et de coller cette feuille sur leur visage. Ensuite, on leur demande s’il est facile, dans ces circonstances, de ire ce qui est écrit sur la feuille, de prendre contact avec une autre personne, de regarder autour de soi... La réponse est évidemment non. Alors, on leur demande d'écarter un petit peu la feuille de façon à pouvoir lire ce qui est écrit et voir si ça change quelque chose. C’est une manière d’illustrer que lorsque nous sommes collés à certaines pensées, cela nous empêche de rester en contact avec le moment présent », illustre le psychothérapeute qui souligne également les bénéfices du groupe sur l’apprentissage de la pleine conscience. « C’est un peu comme le sport : vous pouvez en faire seul chez vous mais c’est en général moins efficace qu’en salle. »
Panacée ou opium ?
Alors que l’hyperactivité et les troubles de l’attention semblent se multiplier chez les plus jeunes, beaucoup soulèvent par ailleurs l’intérêt qu’il y aurait à initier les enfants – voire les tout petits – à la pleine conscience et à la méditation. « La pratique de la pleine conscience chez les enfants est aujourd’hui envisagée dans une optique de prévention. Actuellement, il n’existe pas d’études longitudinales permettant de mesurer les effets de cette pratique 30 ou 40 ans plus tard. Mais certaines études en suggèrent déjà l’intérêt », explique Christophe Dierickx. Ainsi, la CPLU proposera prochainement des modules à destination des enfants, des adolescents et de leurs parents. « L’idée est aussi de se concentrer sur la relation parentale. La pleine conscience peut par exemple aider à accepter l’énervement de son enfant, son propre énervement par rapport à lui, etc. »
Utilisée aujourd’hui dans les hôpitaux, les prisons et surtout dans le monde de l’entreprise, la pleine conscience – portée par l’engouement médiatique et éditorial – serait-elle devenue la panacée ? Si ses bienfaits à l’échelle individuelle ne font pas de doute, l’intérêt des organisations pour cette pratique n’est toutefois pas sans poser de questions1 : en attaquant les effets délétères du travail sur le personnel, se déleste-t-on du même mouvement de faire la critique des conditions de ce travail ? Dans la sphère professionnelle comme privée, soigner les effets n’est-il pas un excellent moyen d’enterrer les causes ? « La pleine conscience nous apprend à accepter ce qu’on ne peut pas changer, à changer ce qu'on peut et à apprendre à faire la distinction entre les deux », répond Christophe Dierickx. Ce qui, on l’admettra, est un objectif éminemment complexe, aux implications proprement politiques. À méditer.
Julie Luong
Mai 2015
Julie Luong est journaliste indépendante
>> Programmes de pleine conscience (MBCT - MBSR)
1 Christophe Dierickx nous invite à lire à ce sujet la revue de la littérature scientifique qu'il a co-réalisée sur les effets de l'acceptation et la pleine conscience dans le monde du travail du livre Pleine conscience et acceptation édité chez Deboeck en 2011. Les auteurs y relèvent les bénéfices mis en évidence par la recherche. Donc cela pose question, mais il y a déjà des bénéfices mis en évidence par la recherche. Et notamment la capacité à mieux identifier ce sur quoi l'employé peut avoir du contrôle. Voir le site http://www.psychologue-psychotherapeute-waterloo.be/pleine-conscience-et-monde-du-travail/
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