Les racines africaines

negrier BateaunegrierDu début du 17e s. jusqu’au début de la Guerre de Sécession  (1861), plusieurs millions d’Africains furent capturés puis emmenés par bateaux entiers en Amérique coloniale*. On estime que plus de 80% d’entre eux étaient originaires de la zone des savanes de l’Afrique de  l’Ouest précoloniale (en gros, du Sénégal au Nigéria actuels) entre la zone côtière et les forêts et déserts de l’intérieur.

Bateaux négriers

 

La population de cette immense région avait des traditions musicales voisines.

En Afrique, musique, chant et danse étaient toujours associés et jouaient un rôle social capital : tout le monde participait en acteurs ou/et en spectateurs (avec battements de mains et de pieds, cris, rires, pleurs…) et les occasions étaient multiples : naissance, mariage, mort, puberté, chasse et pêche fructueuses, etc.

Les mélopées africaines se déclinaient en chants de travail1, chants de louanges, chants satiriques, chants de moquerie1 et de dérision, chants éducatifs, chants de douleur1, chants de deuil1… La tradition était strictement orale, il n’y avait pas d’écrit.

Le grand ordonnateur de ces fêtes était le Griot à la fois historien, chanteur et musicien, doté d’une mémoire exceptionnelle, il connaissait toute l’histoire de son village et de son ethnie, les grands faits d’armes, les alliances, les guerres tribales... Il pratiquait le canevas appel-réponse2 : partant de faits historiques ou sociaux précis, il ne les chantait jamais de la même façon,  en fait, il improvisait en ajoutant des détails nouveaux et il faisait des digressions, c’était l’appel ;  des acolytes, un chœur, voire le reste du village, lui répondaient avec des refrains immuables, c’était la réponse; il y avait donc juxtaposition d’innovation / modernité  (les couplets largement improvisés) et de tradition (refrains immuable).

Hommes, femmes et enfants intervenaient dans les chants et la danse. Par contre les instruments étaient l’apanage des hommes3. Le rythme était plus important que les mélodies et les instrumentistes s’efforçaient de superposer le plus grand nombre possible de rythmes, établissant ainsi une polyrythmie complexe2, essentiellement par le biais de tambours et percussions diverses.

TraditionalSanegalaiseDrummers angola ghana EweDrummingGhana
Senegal Day
Djembe Show (Youtube)
 Angola drums
(Youtube)
 Ghana drummers
(Youtube)
 Ewe drumming in Ghana
Agbadza (Youtube)

 

3cordesOn recensait des tambours de toutes tailles et de toutes formes que l’on frappait avec un bâton ou du bout des doigts ou encore de la paume de la main. Parmi les percussions, on notait des grelots, des calebasses avec gravier ou sable et surtout le likembe (piano à pouce) et  le balafon, un ancêtre du xylophone donc du vibraphone et aussi  du piano… 

2KorasLa famille des instruments à corde était modeste mais comptait quand même la kora (21 cordes, parfois 19), le khalam à 5 cordes (ancêtre du banjo), divers luths  et cythares sans oublier l’arc monocorde.

Les instruments à vent se limitaient à des flûtes et trompes.                                                                               

En outre, la tonalité juste et la note exacte avaient peu d’importance, le chant devait être intense et expressif,  il recourait à des effets de voix : cris, grognements, coups de glotte, sanglots, gémissements, falsettos, glissandos, large vibrato…                                                

Enfin, on constatait que la gamme africaine dominante était pentatonique et majeure. Elle comprenait 5 notes par tons entiers, soit DO , RE, FA, SOL, LA  (sans MI et SI, deux notes en demi ton).  Lorsque les esclaves Africains du Sud seront admis à chanter dans les églises de leurs maîtres blancs ( c. mi-18e s.) ils seront confrontés à des notes inconnues et ils trouveront un compromis en les bémolisant , il vont donc accumuler  mi bémols  et  si bémols, et dans la foulée, des sol bémols dans les psaumes et hymnes protestants. Ces notes altérées seront appelées blue notes et elles seront, avec les syncopes, la polyrythmie et le canevas appel-réponse une caractéristique essentielle des musiques africaines-américaines.                                                                                                                                             

 

 Robert Sacré
Février 2015

 


 

Pour en savoir plus
Francis Bebey, Musique de l'Afrique, Horizons de France1969  ( African Music - A People’s Art, Lawrence Hill & Co, 1975)
Williams Bascom, African folktales in the new world, Indiana University  Press, 1992
Gerhard Kubik, Africa and the blues, University Press of Mississippi, 1999, ISBN 1-57806-146-6.
Paul Oliver, Savannha Syncopators - African retentions in the blues,  Studio Vista, 1970.
Samuel Charters,The roots of the blues.An African search, Quartet Books, 1982 ; ISBN 0 7043 3416 X
Nago Seck et Sylvie Clerfeuille, Les musiciens du beat africain, Les Compacts Bordas ; 1993; ISBN 2.04.019787.7
 

 

* Vie en Afrique avant la Traite : Slave warrior : the beginning
1 Caractéristiques du blues
2 Caractéristiques de toutes les musiques africaines-américaines
3 Dans l'Afrique contemporaine, il y a des femmes griots.
 
 
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