Jacques a vu, le 1er long métrage de Xavier Diskeuve, sort en Wallonie

afficheAprès quatre courts-métrages réalisés entre 2002 et 2009,La Chanson-chanson (prix UIP au Festival de Grand), Mon cousin Jacques (plusieurs prix en Belgique et en France), Révolution, (premier prix au Festival des Films du Monde de Montréal), et I Cannes get no, tous diffusés sur les télévisions belge et française, Xavier Diskeuve (diplômé ULg) est parvenu à mener à bien son premier long métrage, Jacques a vu, qui sort mercredi 28 janvier sur quatorze écrans de Wallonie et de Bruxelles.

Brice et Lara ont acheté, chère et en mauvais état, une maison dans un village ardennais, la Villa Plompteux. Lui est journaliste sans emploi fixe, semble-t-il, elle, créatrice de bijoux. Bien que le jeune homme ait une partie de ces racines à Chapon-Laroche, où il a passé des vacances et où vivent d’ailleurs encore sa tante et son cousin Jacques, le couple est accueilli froidement. Au «verre de l’amitié» organisé pour «lier connaissance», seul est présent l’avenant, dynamique et quelque peu dandy Père Charles, fan de moto et de tennis. Passablement réfrigéré, l’enthousiasme des nouveaux venus vire au glacial lorsque ceux-ci découvrent qu’un consortium hollandais, soutenu par le maire, s’apprête à installer un Funny Park au cœur de cet havre de verdure. Un projet auquel les commerçants représentés par le boucher et le boulanger, salivant face à cette promesse d’un tourisme de masse, font bon accueil.

Le sort va aider nos deux néo-ruraux soutenus avec plus ou moins d’enthousiasme par le curé et le docteur. Une nuit, Brice découvre en effet Jacques à genoux dans un sous-bois, en proie à une vision. Cet être solitaire et taiseux, considéré comme l’idiot du village, finit par expliquer qu’il voit une dame lors de ces séances qui se répètent tous les deux-trois jours. De là à en déduire qu’il s’agit de la vierge, il n’y a qu’un pas que fait allègrement le quatuor. Car si Chapon Laroche était décrété lieu saint, il serait impossible d’y construire un parc d’attraction. Mais encore faudrait-il que le Vatican, via sa commission ad hoc, reconnaisse qu’il s’agit bien d’une apparition.

Dans Jacques a vu, on retrouve l’humour burlesque et parfois mordant qui faisait merveille dans les courts métrages de Xavier Diskeuve. Avec un mélange de tendresse et de causticité, celui-ci n’épargne personne: ni les nouveaux arrivants complètement en décalage avec la réalité locale, ni les villageois renfermés sur eux-mêmes, ni même l’Église. Le scénario, loufoque et ingénieux, est servi par le trio de comédiens familiers de l’univers du réalisateur: Nicolas Buysse (Brice), Christelle Cornil (Lara) et le non-professionnel François Maniquet (Jacques).

 

Jacques a vu a été présenté au Festival international du Film francophone de Namur en octobre dernier et depuis multiplie les avant-premières. Comment est-il reçu ?

Xavier Diskeuve: Avec enthousiasme. Au FIFFF Namur, c’était la première projection, on a eu six cent cinquante personnes, on a du dédoubler la salle. Cela a créé un buzz positif pour le film, il est né à ce moment-là. Je n’ai donc pas trop de tracas sur le fait qu’il puisse plaire à un large public. Après, il faut le faire connaître, ce qui reste un travail herculéen par rapports à nos moyens promotionnels. On a quatorze salles pour le moment en Wallonie et à Bruxelles1, ce qui est formidable, cela veut dire qu’il a convaincu leurs exploitants. Le jour de la sortie, mercredi 28, c’est pour moi un peu comme un jour d’élection pour un homme politique. Ensuite on va essayer la Flandre2   puis la France où, en février prochain, le film sera présenté hors-compétition en clôture du Festival international du Premier Film d’Annonay.

1-Maniquet Lejeune Buysse 9-Cornil Maniquet Buysse

À quel moment vous êtes-vous senti prêt pour un long métrage?

Après deux courts métrages, on commence à être titillé par le long, notamment en voyant les autres court-métragistes commencer à en réaliser, comme Bouli Lanners. Comme j’étais autodidacte, j’en ai fait un troisième, et même un quatrième avant de me dire qu’il me fallait vraiment aller au long sous peine de devenir un vétéran de la catégorie, ce qui est un peu ridicule. Mais après, il faut passer par la Commission de Sélection, le premier obstacle, puis trouver des gens qui acceptent de le produire, ce qui peut prendre 3-4 ans.

3-VaticanComment êtes-vous passé de l’écriture des courts métrages à celle de Jacques a vu?

Quand j’écrivais les courts métrages, je savais quelle direction prendre, qu’elle serait la chute. Mais un long, ça part dans tous les sens, tu crées un labyrinthe où tu t’égares toi-même et dont tu dois chercher la sortie. Tu es face à des parcours de personnages pour lesquels il te faut trouver des issues. Cela prend beaucoup de temps. Le point de départ de Jacques a vu, ce sont les apparitions de Jacques autour desquelles il m’a fallu construire une histoire. Avec cette question : que se passerait-il si la Vierge, ou supposé telle, revenait aujourd’hui ? Qui chercherait à étouffer la nouvelle? À l’exploiter?

 

L’image que vous donnez du village est assez acerbe, vos villageois ne sont pas particulièrement accueillants.

C’est un peu comme cela dans les Ardennes. Les gens sont gentils mais assez bourrus. Ils n’ouvrent pas grand les bras aux nouveaux venus, il ne suffit pas d’offrir un verre. Dans un village où a eu lieu une avant-première, les gens nous ont dit qu’on les dépeignait bizarrement, tout en se comportant un peu comme ça.

6a-Fran+ºois Maniquet FermeJacques est hyper-taiseux, il ne dit son premier mot que tardivement dans le film. Pourquoi ce parti pris ?

Le fait qu’il soit silencieux lui donne un côté énigmatique et autorise les autres personnes, à qui il rend des services sans rechigner, à être condescendants avec lui. Comme il ne dit rien, on ne lui demande jamais son avis, c’est sa mère qui parle pour lui. On ne sait pas ce qu’il pense, on ne lui connaît pas d’aventure sentimentale, c’est un personnage virginal. Le vierge a vu la Vierge.

Brice se prend au jeu et devient une sorte d’impresario sans trop de scrupules.

Comme journaliste, il s’est grillé dans des scoops un peu douteux et il dit lui-même qu’il est revenu pour se refaire. Au début, il ne parvient d’ailleurs pas à trouver des relais dans les journaux pour parler de l’affaire. Il essaie de se reconstruire une autre vie mais c’est plus fort que lui, le naturel revient au galop, il ne peut s’empêcher de faire du business avec tout cela, d’autant plus qu’il doit payer sa maison. Quitte à s’égarer.

L’autre personnage important, c’est le curé du village.

Il est le seul relais du couple. Il s’ennuie et est très content de les voir arriver. C’est pour cela qu’il s’accroche à Brice.

On retrouve le trio d’acteurs de plusieurs de vos courts métrages, dont le cousin Jacques interprété par un économiste renommé. Vous voulez recréer une même ambiance ?

Il n’était pas question, pour moi, de ne pas les reprendre, de les remplacer par des acteurs plus connus ou français. Ils ont beaucoup donné pour mes courts et ils constituent un peu l’identité de mes films. Sans eux, j’aurais eu l’impression de briser la continuité de mon travail.

5-Nicolas Buysse Christelle CornilOù avez-vous tourné ?

Le tournage a duré six semaines durant l’été 2013. Il n’y a pas un seul village mais sept ou huit dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour de Namur. Je n’en ai pas trouvé un avec un centre cinégénique, une boucherie et boulangerie à l’ancienne. Et à Rome, je n’ai pris que des plans de coupe, tout le reste a été tourné à Namur, même la rue des prostituées. Je voulais sortir du village, ne y pas rester confiné, tout en surprenant le spectateur. On s’est amusé à comparer l’obligation d’aller faire certifier une apparition à un dossier que l’on va présenter devant une commission à Bruxelles. Avec une salle d’attente, un numéro d’ordre, un trio d’examinateurs, etc.

 

Quel est le budget du film ?

Il a coûté 800 000  euros : 350 000  de la Communauté française, 220 000 de Wallimage, environ 100 000  de RTL en préachat et le reste, c’est du Tax Shelter. Je n’ai pas reçu l’aide à l’écriture et celle à la production de justesse, cela s’est joué à une seule voix. Mais quand on a cette aide, on sait que l’on va pouvoir faire le film. Sinon, le film est mort-né. Une carrière de cinéaste tient donc à pas grand-chose. Si tu es refusé trois fois avec un projet sur lequel tu travailles depuis deux ans, il est difficile de trouver le courage de t’y remettre. Toujours recommencer cette procédure de dossiers, d’attentes, de rapporteurs, etc., c’est très dur. Et en plus la composition des commissions, où siègent des représentants de l’institution et des professionnels volontaires, change régulièrement. J’ai moi-même participé à la Commission du court métrage. Vu l’argent disponible par rapport au nombre de projets soumis, très peu sont retenus. Je n’ai par exemple jamais annoncé à quelqu’un que son projet était passé.

Propos recueillis par Michel Paquot
Janvier 2015

 

crayongris2Michel Paquot est journaliste indépendant

 

Voir aussi l'article Le long chemin de Xavier Diskeuve vers son 1er long métrage
Voir aussi la courte présentation de Xavier Diskeuve, dans le dossier Écrivains ULg

 


 

 

1 Liège, Bruxelles, Namur, Louvain-la-Neuve, Mons, Charleroi, Verviers, Gedinne, Stavelot, Malmédy, Virton et Tamines.
2 Le film sort avec des sous-titres néerlandais.