Dans un Japon presque encore médiéval, un vendeur de soie français réinvente l'amour courtois. Le Théâtre universitaire présente Soie, une adaptation par Marco Pascolini du roman d'Alessandro Baricco, du 10 au 13 mars
Le roman
Paru à l’origine en Italie en 1996, le roman d'Alessandro Baricco a été traduit en français en 1997. C’est près de 10 ans plus tard que Marco Pascolini le découvre, prêté par une étudiante qui avait aimé l’ambiance du Lysistrata qu’il avait proposée en faculté de Droit. Tout de suite, il pressent que l’on peut en faire quelque chose d’intéressant. Pourtant, ce n’est qu’il y a 2 grosses années que le projet prend forme.
L’histoire mêle récit de voyages – des allers-retours entre la France et le Japon – et histoire d’amour, ambiguë bien que platonique, sur fond d’épisode historique de guerre civile japonaise à la fin du 19e siècle. Courte et rythmée, l’écriture se fait souvent répétitive. Les dialogues sont rares. L’œuvre se situe plutôt dans la description d’ambiances, de longues actions réduites à un seul verbe au passé simple (« Il passa la frontière près de Metz, traversa le Wurtemberg et la Bavière, pénétra en Autriche, atteignit par le train Vienne puis Budapest et poursuivit jusqu’à Kiev. Il parcourut à cheval deux mille kilomètres de steppe russe, franchit les monts Oural, entra en Sibérie, voyagea pendant quarante jours avant d’atteindre le lac Baïkal, que les gens de l’endroit appelaient : mer. »). Elle se veut aussi poétique, évocatrice, laissant libre champ à l’imagination du lecteur et, d’une certaine manière, sensuelle.
La position du protagoniste principal, Hervé Joncour, est celle d’une marionnette : il semble ne jamais prendre en main son destin mais plutôt être le jouet de forces qui le dépassent et sur lesquelles il ne semble – ne veut ?- avoir aucune prise.
La mise en scène et le passage de l’écriture romanesque à l’écriture scénique
La brièveté des dialogues a permis de les conserver presque en intégralité. Dès lors, les comédiens revêtent plutôt le rôle de conteurs. Ils oralisent les ambiances et donnent une signification au décor dépouillé. En effet, le plateau ne recréera aucun environnement « naturaliste » : pas de village japonais, pas de toile recréant un paysage réaliste en fond de plateau. Ici, des bandes de tissus seront plus suggestives, avec une volonté affichée de dépouillement le plus poussé possible. Il est même impossible aux comédiens de faire un passage cour-jardin, comme l’impose parfois la mise en scène, sans se cacher derrière un rideau. Les déplacements « hors pièce » seront visibles avec une cinétique propre permettant de ne pas les confondre avec du jeu d’acteur.
Comme le confie le metteur en scène, « c’est la sensualité du texte qui m’a séduit et que j’ai tenté de reproduire le plus fidèlement possible ». Mais « l’orientalisme » de l’action ne lui a pas déplu non plus. Et lui a d’ailleurs permis d’inclure une autre forme de Japon dans la pièce. Mais celle-ci apparaîtra moins clairement au spectateur car elle concerne la préparation « physique » des comédiens pendant ces mois de préparation.
Il l’avoue, Marco s’est inspiré des technique de Tadashi Suzuki*. Comme exposé dans nombre de ses ouvrages, son travail avec l’acteur utilise énormément le corps de celui-ci. S’il est évidemment un objet physique indispensable à la « présence » du personnage sur scène, le maître japonais insiste pour sa part sur sa réalité en tant que force, qu’outil doté d’une certaine énergie. Énergie qui doit être renforcée par des exercices physiques, jouant sur la posture, l’immobilisme et la force des jambes, fermement ancrées dans le plateau. Des exercices physiques qui parfois, comme le confie Marco, dépassent ce à quoi s’attendaient ses acteurs. « Un bête exercice où l’on marche en rond, en marquant très fort avec les pieds le rythme des pas peut se révéler épuisant. Et trois minutes de cette activité paraissent soudain très, très longues », s’amuse-t-il à évoquer.
L’habillage sonore
On le sait, Marco Pascolini aime le son. Ses expériences de DJ ont sans doute influencé son travail sur la musique qui habille ses spectacles. Et plutôt que d’utiliser des « tapis sonores » qui meublent la pièce lors des moments de moindre intensité, Marco met le plus possible la musique au service de la narration.
Evidemment, ici, l’inspiration est clairement japonisante : calme et zen, en utilisant parfois un gong présent sur le plateau. Mais on connaît aussi son goût prononcé pour l’électro et ses multiples déclinaisons. Ainsi ses recherches permettront de découvrir une étonnante réinterprétation en coréen de Que sera, sera. Au-delà d’un œil curieux, le spectateur est aussi invité à venir avec une oreille « ouverte ».
Loin de ses plus vifs et turbulents Lysistrata ou La Tour de Babel, ou des mises en scène investissant la salle dont le TURLg est coutumier, cette « tentative de poésie scénique » (sic) offrira une occasion de découvrir une nouvelle facette de ce metteur en scène débordant …
Marc-Henri Bawin
Novembre 2014
En pratique
Soie
d'après le roman d'Alessandro Baricco
Adaptation et mise en scène de Marco Pascolini
Salle du TURLg, Bât. A4, quai Roosevelt 1b à 4000 Liège
* Tadashi Suzuki (Né le 20 Juin 1939 à Shimizu, Shizuoka) est un metteur en scène, écrivain et philosophe travaillant à Toga, Toyama, Japon. Suzuki est le fondateur et directeur de la troupe Suzuki Company of Toga (SCOT), organisateur du premier festival international de théâtre du Japon (Festival de Toga). Avec la réalisatrice Anne Bogart il a co-fondé le Saratoga Institut international du théâtre à Saratoga Springs, New York, et créateur de la méthode Suzuki de la Formation d’acteur (dont s’est inspirée cette réalisation). (Source Wikipédia)