Pourquoi enseigner la littérature de jeunesse à de futurs professeurs du secondaire supérieur ?
En effet, les programmes du secondaire supérieur n’évoquent pas la littérature pour la jeunesse, on pourrait donc comprendre que son enseignement ne fasse pas partie de la formation universitaire. Malgré cela, pour Daniel Delbrassine, « une bonne connaissance de la littérature pour la jeunesse est indispensable à la formation de tous les enseignants, et ce pour deux raisons : soit elle représente le corpus sur lequel travailler (maternelle, primaire et secondaire inférieur) soit elle constitue le bagage d’expériences de lecture des élèves (secondaire supérieur). Autrefois, certains enseignants du secondaire supérieur, qui ne s’étaient jamais intéressés à la littérature pour la jeunesse, imaginaient qu’ils allaient arriver en classe et installer la Littérature avec un grand « L » en rase campagne. Mais la plupart du temps, ça ne fonctionnait pas. Les élèves d’hier ou d’aujourd’hui sont confrontés en permanence à de nombreux concepts littéraires mais également à de nombreux types de récits différents qu’on retrouve dans les récits littéraires destinés à la jeunesse. Dans ces conditions, il n’était pas étonnant que se produise un choc culturel entre les élèves et leur bagage et ce que les professeurs étaient censés leur apporter. »
D’autres exemples peuvent également illustrer ce phénomène. En 2008, par exemple, a été organisé en France un colloque international sur le moyen âge et littérature pour la jeunesse. Les médiévistes avaient pris conscience du fait que la littérature pour la jeunesse contemporaine était finalement une clé essentielle pour que leur corpus continue d’exister. Les textes médiévaux sont de moins en moins accessibles pour les jeunes générations, mais, depuis peu, ils ont retrouvé un nouveau souffle par le biais d’adaptations contemporaines. Et finalement, ces textes médiévaux adaptés, retranscrits, parodiés (« plagiés » parfois aux yeux des élèves qui découvrent les « originaux ») sont aussi des prétextes exceptionnels pour évoquer toute une série de concepts essentiels pour entrer dans la culture et faire des liens. Et si les élèves apprennent à faire ces liens-là, ils les feront aussi avec d’autres récits…
La littérature pour la jeunesse en Haute École et dans la formation des maîtres
À l’heure actuelle, la plupart des maîtres-assistants en langue française en Haute École sont titulaires d’une licence en langues et littératures romanes. Il est donc assez rare que ces formateurs aient eu la chance de suivre un cours de littérature pour la jeunesse pendant leur formation universitaire. Un rapide sondage réalisé auprès des maîtres-assistants concernés des différentes hautes écoles de Liège montre qu’une série d’entre eux ont suivi, après leur formation, le cours de Michel Defourny et/ou celui de Daniel Delbrassine. D’autres, intéressés par le sujet ont suivi des formations ou se sont formés seuls.
À la Haute École Charlemagne, par exemple, un cours de Littérature pour la jeunesse est dispensé aux futurs bacheliers en français/français langue étrangère et français/morale de la Haute École Charlemagne en 1re et en 2e année.. « Nous avons créé le cours en 2010, sur la base d’initiatives personnelles. » nous confie la titulaire du cours Valérie Centi. « La littérature pour la jeunesse était un sujet qui me tenait particulièrement à cœur puisqu’avant d’entrer dans l’enseignement, j’avais travaillé quelque temps dans une librairie spécialisée en littérature de jeunesse. Lorsque nous avons eu l’occasion de réorganiser les cours de français en 2010, nous avons proposé avec quelques collègues de dissocier la littérature générale de la littérature de jeunesse dans la formation des AESI français/morale et français FLE. Aujourd’hui, 60 heures en première année et 60 heures en 2e sont consacrées à l’enseignement de la littérature pour la jeunesse. Il est vrai que jusqu’alors, le professeur de littérature évoquait la littérature pour la jeunesse ou non dans son cours, suivant ses affinités avec le sujet. »
Néanmoins, à l’heure actuelle, il n’existe que peu de cours consacrés intégralement à la Littérature pour la jeunesse dans les hautes écoles de Liège. Quand ce cours existe, c’est à l’intérieur de l’intitulé général Français. Pour pouvoir développer davantage de cours consacrés à la Littérature de jeunesse et à sa didactique, les professeurs semblent être en demande d'une formation spécifique, qu’ils ont bien du mal à trouver.
Valérie Manca, maître-assistante à la HEL dans le pédagogique nous explique : « Quand j’ai débuté en haute école dans la formation des instituteurs primaires et que j’ai dû faire face à l’enseignement de la littérature pour la jeunesse, j’étais un peu désemparée. C’est à ce moment-là que j’ai appris qu’il était possible de suivre un cours sur le sujet à l’ULg, et puisque mon horaire me le permettait, c’est ce que j’ai fait. Ensuite, j’ai construit mon cours sur cette base mais il faut bien avouer qu’en première, c’est surtout de l’histoire de la littérature de jeunesse que l’on aborde (en se basant sur l’un ou l’autre ouvrage) mais en deuxième année, j’avais construit un cours sur plusieurs thèmes : la censure, les caractéristiques du roman pour la jeunesse, et sur le Petit Chaperon rouge où l’on essayait de dégager de grands concepts (l’importance de la tradition orale, les réécritures, les mises en réseaux, l’intertextualité…). J’ai suivi le cours à l’ULg mais je sais qu’il y aurait encore beaucoup de choses à améliorer au niveau de l’enseignement de la littérature pour la jeunesse. Et même si c’est un sujet que l’on apprécie, on manque de formation et souvent de temps pour approfondir le sujet avant de le transmettre. »
En effet, dans les conditions actuelles, il s’avère que s’auto-former en littérature de jeunesse et renouveler régulièrement les leçons en fonction des parutions et de l’intérêt des enfants et adolescents est un travail de longue haleine qu’il est presque impossible à résorber à tous les niveaux. De plus, le manque de formation continue sur le sujet et les difficultés pratiques pour les maîtres-assistants de suivre le seul cours de littérature de jeunesse dispensé à l’université en Belgique francophone ne font qu’empirer les choses. La demande des professionnels de l’enseignement est toutefois bien réelle puisqu’on constate que chaque intervention d'un spécialiste de la question bénéficie d’un engouement exceptionnel. Par exemple, le 16 octobre dernier était organisée par la BILA, dans le cadre de leurs Séminaires de l’Imaginaire, une conférence sur « Lord Voldemort » dispensée par une chercheuse de l’Université de Poitiers. Les spectateurs se sont pressés en masse à l’entrée du Théâtre de Liège, à la surprise des organisateurs qui n’avaient pas prévu une telle affluence.
Pistes pour une amélioration de la formation
Aux premiers jours d’une refonte de l’enseignement supérieur, il serait utile d’envisager les différentes pistes qui pourraient être mises en place pour qu’enfin la littérature de jeunesse accède au statut de littérature.
Salon Daniel Delbrassine, un cours pourrait venir enrichir le master à finalité didactique à l’université : « Une version master du cours de littérature de jeunesse qui existe actuellement. Ce serait un approfondissement qui se donnerait en fin de journée et qui permettrait aux maîtres-assistants ou aux autres professionnels de l’enseignement de suivre le cours. Une chose est sûre, les sujets ne manquent pas … »
Et 2015 serait le bon moment pour insuffler une bouffée d’air frais à la formation des enseignants du français puisque se tiendra du 20 au 23 juillet, à Liège, le 2e forum mondial de la langue française3 auquel l’association belge des professeurs de français prendra activement part.
Vincianne d'Anna
Novembre 2014
Vincianne d'Anna est journaliste indépendante, spécialisée en littérature de jeunesse
Daniel Delbrassine est chercheur en littérature de jeunesse à l'ULg. Ses principales recherches portent sur la littérature pour adolescents.
3 http://www.forumfrancophonie.org/content/participez#cond
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