Des milliers de recettes technologiques nous sont parvenues depuis l'Antiquité, qui décrivent, entre autres, la préparation des pigments, liants, adhésifs et encres employés en peinture et en enluminure. Elles abordent tantôt des pratiques locales ou liées à une époque donnée, tantôt des méthodes plus largement répandues. Une analyse approfondie de ces recettes, mais aussi des ouvrages dans lesquels elles ont été consignées – par le biais d’examens codicologiques, philologiques et historiques – ont permis de comprendre comment des colorants anthocyanes, pourtant très fragiles à la lumière, ont pu être utilisés dans le domaine de l’enluminure. La reconstitution en laboratoire d'une série de recettes consacrées aux colorants anthocyanes a permis d’appréhender les procédés décrits dans chacune de ces instructions et de déterminer leurs spécificités, dans un contexte artistique à la fois géographique et chronologique. Un autre volet de cette enquête implique de déceler l'utilisation de ces pigments dans les œuvres d'art par des techniques de pointe. Ces recherches se sont largement fondées sur la base de données ‘Colour ConText’ qui comporte aujourd'hui 6500 recettes transcrites et encodées avec les images numérisées des sources et de nombreuses informations sur les contextes d'utilisation.
Papyrus de Leyde X,
3e siècle.
S’intéresser aux technologies artistiques anciennes est une démarche fondamentale pour l’historien de l’art et celui des techniques, mais également pour le restaurateur et le conservateur. Elle leur permet de mieux saisir les diverses étapes de réalisation de l’objet d’art, de même que les matériaux à partir desquels on le façonne. Une telle attention permet encore, outre une observation plus pertinente de l’œuvre, une intervention plus adéquate en vue de sa préservation, tout en facilitant l’identification de ses altérations.
Les connaissances relatives aux matériaux et aux techniques utilisées par les artistes ont souvent été transmises et diffusées sous la forme de collections de recettes. Cette tradition est ancienne. Dès l’Antiquité, des recettes technologiques sont consignées sur des tablettes en pierres ou sur des papyrus. Au Moyen Âge, on trouve ce type d’instructions mêlées, dans des ouvrages de compilation, à des recettes de cuisine, de cosmétique, des prescriptions médicales, des instructions domestiques ou encore des herbiers. Plus tard, elles seront pour la plupart (ré)organisées par sujets et diffusées largement par le biais de l’imprimerie, sous la forme de ‘livres des secrets’. Au total, ce sont ainsi des milliers de recettes artistiques qui nous sont parvenues.
édition de 1557
Celles-ci se consacrent à des techniques diverses : elles traitent de la peinture et de l’enluminure, mais aussi du dessin et de la dorure. Elles abordent également le travail du métal, du verre et des gemmes. Elles décrivent la préparation de supports tels que le parchemin, le papier, le bois ou la corne. Elles livrent encore quantité de données relatives aux caractéristiques et aux moyens de préparation et de conservation des pigments, des liants, des adhésifs et des encres.
En plus de nous informer sur le matériel dont disposaient autrefois les artistes, ces recettes rendent compte des moyens qu’ils utilisaient et de leur maîtrise pratique. En outre, la consultation d’un vaste ensemble de ces textes nous autorise à observer les techniques qui, autrefois, semblent avoir été plus largement diffusées ou qui, au contraire, apparaissent comme des méthodes locales et ce, selon des zones géographiques et une échelle chronologique délimitées. Se révèlent ainsi des pratiques inédites ou moins méconnues.

Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, Ms. 3227A, ff. 123v-124r. (herbier)