Ressource alimentaire pour l'avenir
Surmonter le dégoût des insectes exige donc du temps mais semble être déterminant pour la survie de certaines populations humaines. En effet, la nourriture à base d'insectes constitue, semble-t-il, une alternative alimentaire prometteuse pour l'homme. Lors d'une conférence en 2008, l'Organisation des Nations unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) a promu l'idée d'utiliser les insectes comme ressource alimentaire pour assurer la sécurité alimentaire mondiale dans les prochaines décennies. En effet, près d'un milliard de personnes souffrent aujourd'hui de sous-nutrition. En Asie et en Afrique, la principale carence concerne les protéines animales. L'apport minimum quotidien de ces protéines est évalué à 35 g pour un homme de 70 kg (norme FAO). Sachant que certaines espèces d’insectes présentent des teneurs en protéines 3 à 4 fois plus élevées que le poulet et le porc, on comprend aisément l'intérêt que revêt l'entomophagie dans certaines régions du monde. Les populations n'ont pas attendu les analyses chimiques pour compenser les carences protéiques par la consommation d'insectes. L'intérêt nutritionnel de l'entomophagie ne réside pas uniquement dans la richesse en protéines des insectes, mais aussi dans la qualité des lipides de certains insectes (faible taux de cholestérol), dans l'apport d'acides aminés essentiels (tel le tryptophane), dans la richesse en sels minéraux (Fe, Zn, Ca et P) ainsi que dans les fortes teneurs en vitamines B et D.
Valeur nutritionnelle mais aussi culinaire
L'approche nutritionnelle ne peut se désintéresser des aspects gustatifs. À quoi servirait un aliment de grande richesse nutritionnelle si son goût le rend inconsommable ? Bien qu’il soit difficile de recenser rigoureusement la totalité des espèces d’insectes consommés dans le monde, de par la variété des noms vernaculaires locaux, les estimations les plus récentes dénombrent plus de 2 086 espèces comestibles. Les insectes consommés appartiennent majoritairement à l’ordre des Coléoptères (31 % ; larves de charançons, de hannetons ou de longicornes), des Lépidoptères (18 % ; chrysalides, chenilles), des Hyménoptères (14 % ; œufs de fourmis, larves d’abeille), des Orthoptères (13 % ; criquets, grillons et sauterelles adultes), des Isoptères (termites adultes) ou encore des Hémiptères (punaises d’eau).
Selon les espèces, les insectes peuvent être consommés sous différentes formes de leur stade de développement : des œufs jusqu’aux formes imaginales, en passant par les larves et les nymphes. Les larves d'insectes présentent l'intérêt de posséder généralement une cuticule plus fine et donc moins croquante en bouche. Ce n'est pas un hasard si les grasses larves apodes (sans pattes) du charançon du palmier (Rhyncophorus phoenicis) comptent parmi les plus appréciées des Africains. D'autres insectes, au goût puissant, tels certaines punaises pentatomides (par exemple Euschistus crenator) sont utilisées au Mexique comme épices.
En décembre 2013, l’Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaîne Alimentaire (AFSCA) a publié une liste de dix espèces d’insectes comestibles pouvant être commercialisés sur le marché belge en attendant une uniformisation de la législation européenne. Cette simple avancée législative a permis l’apparition de certains produits préparés à base d’insectes mais encore aucune de ces enseignes de distribution n’est encore prête à commercialiser de l’insecte frais. En effet, l'acceptation de l’insecte passera par une phase de déguisement ou de camouflage. Réduits en poudre, enrobés de sauce, incorporés dans d'autres matrices alimentaires, les insectes seront méconnaissables par les populations et donc plus facilement acceptés. De plus, encore trop peu de livre de recettes intègre l’insecte dans leurs listes d’aliments potentiels…
Pack apérosur mangeons-des-insectes.com
Lentement, mais sûrement
En conclusion, divers arguments autant écologiques que gustatifs, sanitaires ou nutritionnels plaident en faveur de l’adoption de l’insecte dans notre alimentation. En Occident, le plus grand défi des promoteurs de l’entomophagie ne sera donc pas, de produire ces insectes en masse ou de prouver leur innocuité mais bien de combattre la néophobie alimentaire des consommateurs envers les insectes. Actuellement, nous nous trouvons dans une première phase d’acceptation des insectes. En effet, les législations s’adaptent à ce nouvel aliment, des restaurants se mettent à proposer quelques amuses-bouches exotiques farcis de vers farine ou même de grillons et certains produits, masquant l’insecte au possible, font même leur apparition dans certaines grandes surfaces.
Malheureusement, ces premiers produits, plus marketings que nutritionnels, profitent du regain d’intérêt pour l’entomophagie et de la tendance écologique actuelle. Ces derniers sont donc souvent pauvres en insecte et vendus à des prix exorbitants. La prochaine étape sera de voir apparaître dans nos supermarchés, des insectes frais, prêts à être cuisinés à la maison …
Photo Bablo - Fotolia
Frédéric Francis
Octobre 2014

Frédéric Francis enseigne l'entomologie fonctionnelle et évolutive à l'ULg - Gembloux Abro-Bio Tech. Il a créé Hexapoda, le premier musée de l'insecte en Wallonie.
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