Consommation d’insectes : quels comportements alimentaires ?

pain aux grillonsLes insectes sont actuellement au centre des préoccupations de par les nombreuses possibilités d’exploitations qu’ils offrent. L’entomophagie, du grec ancien « entomos » : insecte et de « phagos » manger, est le terme employé pour désigner la consommation d’insectes par l’espèce humaine. L’entomophagie est une pratique courante dans de nombreux pays du monde, exception faite des pays développés, principalement en Europe et en Amérique du Nord. En occident, la consommation d’insectes est actuellement considérée comme barbare, rurale ou même comme une menace à l’identité culturelle et psychologique. En effet, l’insecte, diabolisé par les médias, est plutôt perçu comme sale, dégoûtant ou encore dangereux et est souvent considéré comme un vecteur de maladie, un ravageur de culture, une nuisance alimentaire ou encore un marqueur d’insalubrité. Depuis l’annonce par la FAO en avril 2012 d’une stratégie de promotion de l’entomophagie à travers le monde, les insectes ont acquis une meilleure réputation grâce aux avantages nutritionnels et écologiques qu’ils représentent.

Pain aux grillons domestiques
Photo Jacques Mignon

 

Goût et dégoût

Une première hypothèse avancée pour expliquer ce rejet des insectes de notre alimentation est que la consommation d’insectes est considérée comme primitive puisqu’appartenant au stade chasseur-cueilleur de l’évolution humaine. Ce côté « primitif » est particulièrement important puisque le concept même de tabou a longtemps été défini comme une interdiction culturelle ou religieuse présente au sein de sociétés primitives. Les tabous alimentaires sont généralement liés à un sentiment de dégoût qui fait partie d’un mécanisme évolutif mis en place par les espèces omnivores, dont fait partie l’homme, pour assurer leur survie. L’introduction d’un nouveau produit alimentaire dans une culture induit généralement un sentiment de peur ou de rejet appelé la néophobie. Le ressenti général du public envers ces invertébrés est la peur, la répugnance ou encore l’indifférence. Lorsque l’animal considéré est reconnu comme esthétique (papillon), utile (crevette) ou possédant une valeur écologique (abeille), une attitude plus positive est observée.

D’une manière générale, les insectes ont été négativement perçus et les sentiments de peur et de dégoût font partie intégrante de ce processus de négativisme. Cette peur de l’insecte peut être considérée comme une peur innée faisant partie intégrante d’un processus évolutif nous permettant de fuir certaines espèces d’insectes potentiellement dangereuses. En effet, l’humain, comme tout autre animal, a pu évoluer et persister grâce au sentiment de peur associé à la présence de prédateurs ou de dangers et nous aurions conservé cet instinct de prévention envers les insectes. Une deuxième hypothèse, fortement liée à la première, avance que nous rejetons l’insecte puisque ce dernier est considéré comme un important vecteur de maladie. Cette hypothèse est, de plus, renforcée par les niveaux d’hygiène relativement hauts instaurés dans nos sociétés actuelles et ce désir de rendre l’environnement domestique aussi stérile que possible. Une troisième théorie expliquant notre dégoût de l’insecte peut être trouvée dans sa fréquente association avec toutes sortes de dommages agricoles. En effet, bien qu’un faible pourcentage des espèces d’insectes connues puisse être considéré comme des nuisibles, l’ensemble des espèces d’insectes est considéré comme « coupable par association » dans notre société. Finalement, la distance des insectes par rapport à l’espèce humaine peut être considérée comme un facteur important dans le développement de ce sentiment de peur. En effet, les insectes possédant des morphologies et des comportements tellement éloignées des nôtres, qu’ils sont perçus comme des espèces « aliens » à nos yeux.

 

versdefarineUn test sur près de 200 personnes

Au sein de l’Unité d’Entomologie à Gembloux Agro-bio Tech-ULg, nous travaillons sur l’acceptabilité de l’insecte en occident. Notre première recherche portait sur une analyse sensorielle de deux insectes cibles : le grillon domestique (Acheta domesticus) et le ver de farine (Tenebrio molitor). Cette analyse sensorielle se déroulait au sein de l’insectarium Jean Leclercq – Hexapoda (Waremme, Belgique) où 50 % des visiteurs, soit 189 personnes, ont accepté de prendre part à une dégustation d’insectes. Il en ressort que les connaissances générales des participants sur l’entomophagie augmentaient avec l’âge et que, bien que quasi 50% des personnes interrogées avait un a priori négatif sur l’entomophagie, près de 70% de celles-ci étaient prêtes à tenter l’expérience.

Vers de farine
Photo Jacques Mignon
 

farine de grillonsLes deux insectes ont donc été présentés à ce panel de consommateurs et ce, sous différentes formes : bouillis, grillés et, pour le ver de farine, aromatisé de paprika, de vanille ou encore de chocolat. Durant ces essais, les vers de farine ont clairement été préférés aux grillons. Cette faible appréciation des grillons est certainement due à la présence de longues pattes et de longues antennes chez ces insectes qui renforcent le sentiment de néophobie. En ce qui concerne la texture des insectes, les insectes grillés, possédant une texture plus croustillante, ont été préférés aux insectes bouillis, caractérisés par les consommateurs de plus « coulants ». Au sujet des différentes formulations de vers de farine, celles au paprika ou au chocolat constituaient les formulations les plus appréciées.

Farine de grillons
vendue sur www.insectes-food.com
 

En ce qui concerne les personnes prêtes à cuisiner des insectes à la maison, ce sont celles âgées de 19 à 45 ans qui étaient les plus ouvertes. En effet, les insectes peuvent être assimilés à un nouvel aliment facile et rapide à cuisiner pour les personnes actives, pressées par le temps. De plus, la perspective de cuisiner une nourriture « non conventionnelle » et « fun » peut augmenter la volonté des jeunes adultes à intégrer les insectes dans leur alimentation.

Dans une perspective de produire et de commercialiser des produits à base d’insectes, il était également intéressant de connaître les préférences des consommateurs sur les possibilités d’intégration des insectes. Durant cette étude, les insectes ont été principalement perçus comme des snacks apéritifs, probablement en raison du côté « crunchy » amené par une cuisson au four. Le changement d'attitude face aux insectes est primordial au succès de l’entomophagie et une des premières pistes afin de diminuer la néophobie alimentaire associée aux insectes est de rendre les futurs produits à base d’insectes les plus familiers possible.

 

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