Un cabinet des horreurs, imaginé par le Führer

Les expressionnistes

Schmidt-RottluffCritère discriminant s’il en faut, l’expressionnisme allemand a particulièrement fait les frais du « grand nettoyage » des musées allemands. Ennemi culturel numéro un, tant dans ses formes les plus homogènes (die Brücke ; der blaue Reiter), que dans celles, moins véhémentes, d’artistes comme Lovis Corinth, il est considéré comme le signe d’une vision débile et malade. Trois de ses adeptes atteindront d’ailleurs des records de confiscations : 1052 pour Emil Nolde, 729 pour Erich Heckel et 639 pour Ernst Ludwig Kirchner.

Karl Schmidt-Rottluff, Lupins dans un vase
 

Très décrié par les autorités nazies, l’expressionnisme allemand est ainsi très représenté à la vente de 1939 et, par là même, dans l’exposition de la Cité Miroir. On y retrouve par exemple des Lupins dans un vase de Karl Schmidt-Rottluff, aux formes carénées et aux couleurs franches, ainsi qu’un Laboureur et des Amaryllis d’Erich Heckel, exécutées après-guerre par l’artiste en quête d’apaisement. Sont également au rendez-vous deux paysages aux touches vigoureuses d’Oscar Kokoschka (Tower Bridge à Londres ; Monte-Carlo), trois toiles caractéristiques de la production de Karl Hofer (Femme ivre ; Madame Bailhache ; Quatre hommes à une table) une de Franz Marc (Les chevaux bleus), une de Emil Nolde (Jardin fleuri) et deux portraits de Lovis Corinth.

CorinthCe dernier, pourtant considéré comme le « Manet allemand » par ses compositions proches de l’impressionnisme, aligna le plus de toiles sur les murs de la vente de Lucerne. L’artiste consacré, fut en effet victime d’une crise d’apoplexie en 1911 qui le laissa partiellement paralysé et engendra une nouvelle « fureur de peindre », composée de larges traits de pinceaux énergiques, qui déplut finalement aux nazis durant les années trente. Deux de ses portraits, datant de cette période de renouveau, se font face dans l’exposition (Portrait de Georg Brandes ; Portrait de Wolfgang Gurlitt). Le dernier dépeint, par de larges aplats de peinture, le célèbre collectionneur d’art, tiré à quatre épingles, assis, d’un air inflexible, un journal à la main. Ce personnage, parfois ambigu, fut l’un des grands défenseurs de l’art moderne en Allemagne, monnayant parfois avec les autorités nazies l’acquisition de quelques toiles qu’il rassembla en un important musée à Linz en 1946. Il compta aussi parmi ceux qui donnèrent sa chance à Corinth, avec qui il entretint longtemps une relation privilégiée1.

Lovis Corinth, Portrait de Wolfgang Gurlitt
 

barlachLes sculptures d’Ernst Barlach font aussi partie des œuvres fréquemment vilipendées par le gouvernement hitlérien. Beaucoup d’entre elles furent saisies dans les institutions muséales et d’autres, installées dans les églises, furent tout simplement censurées. À Lübeck par exemple, les statues réalisées par Barlach pour les niches de la façade de Sainte-Catherine furent couvertes d’un drap pendant plusieurs années car c’en était assez de contempler des œuvres pessimistes, réalisées par un artiste dégénéré, favorable aux Russes et aux Juifs ! Le Christ et Thomas, ne fit pas exception et fut confisqué en août 1937 à Francfort après que les visages expressifs, les volumes stylisés et les formes osseuses de Thomas étreignant le Christ après sa Résurrection eurent attiré les critiques les plus acides et conduit les autorités gouvernementales à résumer la scène à « deux singes en robes de nuit »…

 

Ernest Barlach, Le Christ et Thomas, 1926

 

 


 


1 Catalogue de l’exposition L’art dégénéré selon Hitler, la vente de Lucerne 1939, Liège, Cité Miroir, 2014, p. 146-147.

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