Un cabinet des horreurs, imaginé par le Führer

L'exposition «L’art dégénéré selon Hitler, la vente de Lucerne 1939», organisée conjointement par les Collections artistiques de l’ULg, la Ville de Liège et les asbl Mnema et Territoires de la Mémoire retrace l’un des épisodes les plus significatifs de la censure culturelle nazie : la vente aux enchères Fischer, à Lucerne, le 30 juin 1939. 

 

La Cité Miroir, un lieu tout désigné

citemiroirL’événement prend place dans un prestigieux bâtiment bien connu des Liégeois : les anciens bains de la Sauvenière. Après avoir fait peau neuve en janvier dernier et abritant aujourd’hui la toute jeune Cité Miroir, ils constituent l’écrin idéal pour l’accueillir. Amorcée dès 1938 puis finalement inaugurée en 1942, l’architecture de Georges Dedoyard est en effet un précieux témoignage de l’esthétique moderniste et de la dynamique culturelle liégeoise de l’entre-deux-guerres et fait ainsi écho à l’exposition sur l’art dégénéré qu’elle héberge, une véritable cerise sur le gâteau !

© MNEMA
 

La pataugeoire et les coursives du complexe sont ainsi mises à contribution pour présenter respectivement la politique de censure du IIIe Reich et la très médiatisée exposition Notre combat de Linda Ellia, qui «défeuillette» et transforme le Mein Kampf  d'Adolf Hitler en une succession d’actes artistiques et citoyens. Le ci-devant grand bassin est quant à lui investi d’une immense boîte réfléchissante – qui « réfléchit » à la fois au passé et à l’avenir, comme le « Miroir » éponyme du lieu.  

 

Des « produits de démence et de dégénérescence »

En juin 1939, les autorités du IIIe Reich proposaient aux enchères, à Lucerne, 125 lots loin d’être anodins. Précédemment taxés de « dégénérés » puis confisqués manu militari, ils ne représentaient qu’un infime échantillon de la politique de purge initiée par Hitler et appliquée au-delà de toutes ses espérances par ses fanatiques acolytes. Au terme de plusieurs descentes dans les musées publics allemands, ce n’est pas moins de 16 000 œuvres qui furent ainsi saisies entre 1933 et 1937 sur base de critères parfois très fluctuants.

De manière générale, était mise au ban de la scène artistique et culturelle toute œuvre ne répondant pas à l’idéologie aryenne par ses connotations pacifistes, exotiques, judaïques, socialistes ou marxistes ainsi que par ses formes expressionnistes, abstraites ou faisant la part belle à des couleurs irréalistes et subjectives. Sans surprise, les œuvres issues de la modernité rejoignent les rangs : les toiles et sculptures fauvistes, cubistes, postimpressionnistes et expressionnistes sont stockées en masse dans les réserves du château de Niederschönhausen, près de Berlin. Parmi celles-ci, une première salve de 125 œuvres est ensuite mise en vente à Lucerne en Suisse en juin 1939 pour récolter des fonds financiers. Le succès pécuniaire relatif de ces adjudications et la guerre déjà aux portes de l’Europe, en feront le premier et dernier essai nazi de liquidation sur le marché de l’art international...

Niederschönhausen venteFischer

De ces 125 œuvres exposées en juin 1939, 26 tableaux et sculptures ont pu être regroupés à Liège et retrouvent aujourd’hui leurs anciens voisins de cimaises dans une scénographie étonnante : arrachés de force de leurs musées originels par les autorités nazies, ils sont comme brutalement propulsés, mur et plancher compris, dans un espace hors du temps, celui d’un musée, un « cabinet des horreurs » mental imaginé par le Führer. Entre ces îlots, le spectateur parcourt l’exposition tel un acheteur potentiel, sous les coups sonores d’un marteau adjudicateur arbitraire.

 

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