Dans le cadre d'une collaboration entre le Centre Européen d'Archéométrie de l'Université de Liège (CEA) et les Musées de la Ville de Liège, certaines œuvres du musée des Beaux-Arts de Liège présentées à l'exposition «L'art dégénéré selon Hitler. La vente de Lucerne» ont été analysées par différentes techniques scientifiques, par Catherine Defeyt et David Strivay, de manière notamment à identifier les pigments et caractériser les techniques. L'archéométrie amène le visiteur au plus près des œuvres et des artistes et révèle leurs secrets.
1902, huile sur toile, 92x73 cm
L'archéométrie, la science au service de l'art
À l'Université de Liège on a bien compris l'intérêt de l'interdisciplinarité et le Centre Européen d'Archéométrie (CEA), fondé en 2003, en est un bel exemple. Au CEA, les historiens de l'art et les archéologues collaborent avec les scientifiques et les conservateurs. Ensemble, ils étudient notre patrimoine culturel afin de mieux comprendre œuvres d'art, objets archéologiques et monuments. La rencontre des sciences de la nature et des sciences historiques permet en effet de voir les œuvres comme jamais elles ne l'ont été. Les techniques physico-chimiques donnent accès à de nombreuses informations invisibles à l'œil nu. Dans le cas des peintures, les analyses permettent d'identifier les matériaux utilisés par le peintre et de caractériser la technique d'exécution de l'artiste. L'archéométrie peut donc apporter beaucoup à l'histoire de l'art et elle joue également un rôle important dans la conservation des œuvres d'art. L'archéométrie recherche l'origine des éventuelles altérations et aide à optimiser les conditions de conservation des œuvres.
L'archéométrie au musée
Grâce à un partenariat de recherche entre le CEA et les Musées de la Ville de Liège, certains tableaux de l'exposition «L'art dégénéré selon Hitler. La vente de Lucerne» ont été étudiés par l'archéométrie. Ce partenariat a été mis en place grâce à un financement du Fonds Jean-Jacques Comhaire (Fondation Roi Baudouin). Il s'agit d'un projet de recherche qui a aussi une composante muséale. Les résultats des analyses sont mis en avant dans le catalogue de l'exposition et, selon David Strivay, professeur au CEA, une présentation informatique devrait expliquer la démarche archéométrique aux visiteurs. D'autres musées ont déjà intégré l'archéométrie dans leur parcours sous forme de présentation pédagogique sur écran tactile comme au Musée J. Paul Getty de Los Angeles.
Pour l'instant, trois tableaux (repris dans le catalogue) ont été analysés par différentes techniques physico-chimiques. Ces analyses ont été effectuées par Catherine Defeyt, docteur en Art et Sciences de l'Art, et David Strivay, professeur, tous deux membres du CEA. Il s'agit des tableaux : Le sorcier d'Hiva Oa de Paul Gauguin, La famille Soler de Pablo Picasso et La mort et les masques de James Ensor. Des analyses d'autres œuvres de la vente de Lucerne sont en cours, notamment dans le cadre d'un travail de fin d'études d'une étudiante en archéométrie à l'ULg.

La zone est de 10cm sur 8 cm avec une résolution de 2mm © Centre Européen d'Archéométrie, Université de Liège
L'analyse de ces chefs-d'œuvre implique certaines contraintes. Les œuvres ne peuvent pas être déplacées et aucun prélèvement ne peut être réalisé. C'est pourquoi le CEA a eu recours à une plateforme d'instruments portables. Les œuvres ont été photographiées en haute résolution sous lumière blanche et ultraviolette. Les archéomètres ont également eu recours à la réflectographie infrarouge, à la fluorescence de rayons X et à la spectroscopie Raman.
Les infrarouges ont une longueur d'onde spécifique (entre 800 et 3000 nanomètres) qui leur permet de traverser la couche picturale et de mettre en évidence le tracé sous-jacent de la peinture à condition que celui-ci contienne du carbone. L'apparition du dessin sous-jacent dépend de la réflexion et de l'absorption des infrarouges par les matériaux de la peinture. La spectroscopie de fluorescence X permet d'identifier les éléments (à partir du phosphore) présents dans la peinture. Irradiée par une source de photons X, la matière émet un spectre de fluorescence X caractéristique pour chaque élément. Cette technique non invasive fonctionne uniquement pour les pigments inorganiques, les plus répandus. L'instrument mobile de spectroscopie de fluorescence X développé par le CEA permet de réaliser des analyses ponctuelles mais aussi des cartographies des différents éléments chimiques grâce à un système de déplacement et d'acquisition automatisé (fig.1). La spectroscopie Raman permet d'obtenir des informations sur la plupart des molécules organiques et inorganiques. Elle est basée sur la vibration des atomes d'une molécule soumise à un laser et sur l'analyse du spectre de diffusion obtenu. Cette technique non destructive fait également partie de la plateforme mobile du CEA.