De nombreux étudiants se lancent chaque année le défi de poursuivre leurs études parallèlement à une pratique artistique. Pourtant, les exigences d'une telle activité, menée de manière professionnelle, ne sont pas toujours compatibles avec celles d'un cursus universitaire. C'est afin de pallier cette difficulté, et de les aider dans leur initiative, que l'Université de Liège a mis en place, depuis 2010, le statut d' « étudiant-artiste », dont une quinzaine d'étudiants ont déjà pu bénéficier. Parmi eux, Tristan Zinck : ce jeune spadois âgé de 21 ans, conjugue habilement études en Sciences Politiques et carrière de breakdancer.
Le breakdance, techniques d'apprentissages et leçons de vie
C'est suite à un stage de breakdance auquel sa mère l'inscrit à l'âge de 11 ans, que Tristan se prend d'intérêt pour la discipline. Très rapidement, il prend des cours et s'exerce de manière « underground » avec ses amis, dans la Maison des Jeunes de sa ville natale : « On s'est entrainés entre nous, en se donnant des conseils les uns aux autres et en partageant nos savoirs », explique Tristan.
Dès l'âge de douze ans, Tristan – Titris de son nom de breaker – enchaîne les concours. Il envisage d'ailleurs la confrontation comme un aspect essentiel du breakdance : « Que ce soit à travers les cercles ou les battles (les vraies compétitions), le break, c'est un partage, on montre ce qu'on sait faire ». Pas de rivalité, de compétitivité exacerbée donc, mais plutôt la volonté de se dépasser soi-même, tout en ayant la possibilité de voir les autres exercer leur talent, de pouvoir appréhender leurs différences et leurs atouts comme autant de nouvelles richesses à découvrir.
Au-delà d'une activité artistique et sportive, le breakdance semble bien s'apparenter à une véritable philosophie de vie : « Si le monde entier se comportait comme on se comporte aux événements de breakdance, il se porterait beaucoup mieux !, affirme-t-il. Quand on parle breakdance, et même hip hop, il n'est pas question de différences de couleurs, d'âge, de sexe, c'est un milieu multiculturel et très ouvert, où la notion de respect (des anciens, des nouveaux, des autres cultures) est très importante ».
Un milieu « peace and love », selon les dires du jeune artiste...mais dont les exigences ne sont pas pour autant négligeables. Cinq fois par semaine, durant quatre à cinq heures, Titris et son crew – les PriZon Break RockerZ – enchaînent exercices de musculation, figures, étirements, mais aussi création, recherche de nouvelles chorégraphies. « Parfois on s'entraîne pour maîtriser un mouvement en particulier, parfois on se laisse juste aller sur la musique, ça dépend de chacun, moi j'essaie de faire les deux ». Mais Tristan précise : « Les entrainements de break ne sont pas comparables aux entrainements de foot où il faut être assidu en permanence : il y a de nombreux moments où l'on discute. On est à la salle, on s'entraine, mais on passe aussi de bons moments avec ses amis, et c'est une des raisons pour lesquelles j'aime cette discipline ». La plupart des entrainements de Tristan ont lieu à Spa, mais ceux qu'il effectue avec les PriZon Break RockerZ se déroulent à Liège, ville dans laquelle il fait par ailleurs ses études.
En effet, Tristan entame la deuxième année du bachelier en sciences politiques à l'ULg : « J'ai toujours bien aimé apprendre de nouvelles choses, m'intéresser à tout, explique-t-il, je n'ai pas toujours eu dans l'idée de faire des études universitaires, c'est un déclic que j'ai eu en rhéto, mais pour le moment je ne suis pas déçu ! ». Afin de mener à bien ses études, Tristan tente d'organiser son temps de la meilleure manière possible. Pas de véritable programme, mais plutôt la volonté de mettre à profit chaque instant. Et lorsqu'on lui demande quelle est sa recette pour réussir sur tous les plans, Tristan répond : « La passion. Ce que j'aime c'est danser, mais comme je veux aussi parvenir à faire le reste, je m'arrange pour le réaliser sans trop tarder, de manière à pouvoir danser davantage ».
Concilier carrière artistique et études universitaires : le coup de pouce de l'ULg
Depuis mai 2013, Tristan bénéficie du statut d'étudiant-artiste : une initiative de l'ULg, destinée « aux étudiants inscrits régulièrement à l'ULg et qui peuvent justifier une pratique professionnelle ou semi-professionnelle d'une activité artistique ». Grâce à ce statut, il peut bénéficier d'aides diverses, destinées à faciliter l'organisation et la gestion de son année académique. « C'est un bon système parce que ça permet d'être plus relax, explique Tristan. Les études ne sont pas moins difficiles, mais si j'ai un examen le jour d'une grosse compétition, il y a moyen de faire un aménagement pour pouvoir le reporter ; si je ne peux pas assister à un cours obligatoire, mon absence peut être excusée... ».
Le 1er novembre, c'est à Liège que Titris affrontera les breakers des meilleures équipes mondiales
Titris s'est défendu lors de nombreux championnats ces deux dernières années. On peut, parmi beaucoup d'autres, signaler sa victoire au Red Bull BC One Cypher, un championnat de breakdance qui compte parmi les plus importants du monde, lors duquel Tristan a été sélectionné comme meilleur b-boy de Belgique !
Le 1er novembre prochain, c'est à Liège, dans les locaux de la Caserne Fonck, que l'on pourra voir briller Titris. En effet, le jeune breaker comptera parmi les challengers du LCB2, une compétition internationale de breakdance organisée par l'asbl Liège City Breakers. Fondé par six amis passionnés de breakdance, ce concours a pour vocation de permettre la confrontation de danseurs belges professionnels avec les plus grands b-boys mondiaux. Les meilleures nations telles que la Russie, le Japon, la Corée seront représentées, sur un total de onze pays (sans compter les équipes belges). « Ces battles fonctionnent selon un principe particulier, explique Tristan, ceux des breakers qui font partie des challengers ont le droit de choisir leurs adversaires. J'aurai donc la chance de me confronter à des breakers venant de pays plus lointains ». Il s'agit actuellement du seul concours international de breakdance organisé en Wallonie, mais il représente également un événement de poids à l'échelle du pays, les compétitions étant plutôt rares sur le sol belge. « La scène belge de breakdance connaît un nouvel essor, après un essoufflement d'une vingtaine d'années. Ce genre d'événement y contribue, parce qu'il attire énormément de monde, en terme de spectateurs et de participants », affirme le jeune danseur. En effet, le LCB se veut être un moment de partage et de découverte ouvert à tous: parallèlement à celui qui verra s'affronter les breakers professionnels, un concours est organisé pour les b-boys débutants ou amateurs.
Certes, concourir dans une compétition de ce type représente un moyen assuré de se faire connaître, et l'opportunité d'être repéré par les organisateurs de futurs championnats. Mais s'il met toutes les chances de son côté en s'entraînant sans relâche, c'est encore avec humilité que Tristan envisage cette compétition : « Je considère avant tout cet événement comme un moment de partage : il ne faut pas se laisser envahir par l'esprit de compétition, mais plutôt respecter les valeurs du hip hop basées sur l'échange, le respect, avant de penser à gagner des millions ».
Comparées aux championnats prestigieux, aux battle disputées – disons partagées – contre les stars, aux rencontres nées d'un intérêt commun, aux précieux moments de préparation, de performance, de détente entre amis... les longues heures passées sur les bancs de l'Université pourraient sembler moins excitantes. Pourtant, ce n'est pas du tout de cette manière que Tristan conçoit les choses. Bien qu'il soit déjà professeur de breakdance, le jeune breaker ne compte pas spécialement en faire son métier : « Pourquoi pas, affirme-t-il, mais je souhaite quand même avoir un autre bagage, d'autant que les sciences politiques m'intéressent vraiment. Une chose est sûre, je ne ferai jamais du breakdance une exclusivité, car à partir du moment où l'on en fait un métier, même si on l'adore, on court le risque qu'il finisse par devenir rébarbatif ».
Passionné mais réaliste, consciencieux mais léger... Elle tient d'une véritable figure de style, la subtilité avec laquelle Tristan jongle entre ses multiples visages : un savant équilibre qui a permis à l'étudiant de devenir artiste, et inversement.
Héloïse Husquinet
Octobre 2014
Héloïse Husquinet est étudiante en 2e année de master en Histoire. Elle est aussi rédactrice pour différentes revues.
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