Le démarrage du parcours d’artiste ou de travailleur de la création : une sinécure ?

3. L’environnement artistique : réseaux, capital et politique culturelle

L’environnement de l’artiste et du travailleur de la création, pour ce qui est tant de son entourage que de ses caractéristiques fondamentales et de son encadrement socioéconomique, joue aussi un rôle dans l’évolution du parcours. Nous allons à présent nous focaliser sur les réseaux, le capital et la politique culturelle.

 

L’importance des réseaux

reseauLa réussite de chaque projet et de chaque production dépend en fin de compte de l’entretien d’un réseau stable, c’est-à-dire d’un ensemble de relations informelles. Les échanges d’informations, les partenariats et les possibilités de financement public, mais aussi privé, y trouvent leur origine. Parallèlement à un réseau de pairs, il est aussi essentiel de développer un réseau stable avec des clients : ce faisant, l’artiste stabilise son cadre de travail hyperflexible. S’il arrive à entretenir une relation durable avec un noyau dur de clients qui fera appel à lui en priorité, il parviendra à maximiser son volume de travail et ses revenus artistiques et, partant, à limiter les risques liés au travail par projet. Les travailleurs actifs dans le secteur artistique et créatif en retirent donc un avantage concurrentiel, car, au fil des projets successifs, les artistes et les clients peuvent évaluer leur relation, la renforcer et la faire évoluer en une relation de confiance.

Outre le réseau que l’artiste entretient – avec d’autres artistes, mais aussi avec des clients –, d’autres variables socioéconomiques jouent aussi un rôle. Opère-t-il dans un marché qui lui permet de se démarquer, ou dans un secteur saturé ? L’artiste ou le travailleur de la création connaît-il les règles spécifiques du marché et du secteur en question ? Comment s’y adapte-t-il ? Ses attentes sont-elles justifiées ou doivent-elles être ajustées ? Autant de questions que l’artiste et le travailleur de la création devront se poser s’ils veulent intégrer efficacement le secteur artistique et créatif. En outre, les intermédiaires, qui se situent entre l’artiste et le public, jouent un rôle important (encore qu’on ne les retrouve pas dans tous les secteurs). La collaboration avec les bookers, les galeries, les organisateurs, etc., permet de confier à des acteurs externes certaines activités telles que la promotion, la vente, la commercialisation et les relations publiques.

 

La répartition du capital au sein de la « pyramide »

pyramideBien que cela puisse sembler restrictif, le secteur des arts doit essentiellement être considéré comme un champ dans lequel un certain nombre de positions sont partagées de manière hiérarchique entre un certain nombre d’acteurs : on pense ici à la « pyramide », qui comprend une large base, avec un grand nombre de positions, et un sommet très restreint. La réussite d’un parcours dans le secteur artistique et créatif dépend de la répartition du capital : du capital culturel (connaissances et compétences cognitives acquises dans le système de l’enseignement, normes et valeurs transmises dans la sphère familiale) et linguistique (maîtrise de la langue), mais aussi et surtout du capital social (relations et réseaux) et symbolique (reconnaissance par le public, ainsi que par les collègues artistes et travailleurs de la création). A priori, la répartition du capital est inégale ; ainsi, les différentes formes de capital ne sont distribuées de manière uniforme ni entre les classes sociales, ni entre les différents réseaux et positions artistiques.

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On l’a vu, cette répartition inégale du capital tout au long du parcours peut déboucher sur un « avantage cumulatif ». Ainsi, il n’est pas rare de constater une différence – justifiée ou non – entre le degré d’investissement (financier ou motivationnel) dans le parcours de l’artiste ou du travailleur de la création, d’une part, et la rétribution par laquelle cet investissement se traduit sur le plan de la reconnaissance, d’autre part. Autrement dit, l’origine socioéconomique de l’artiste ou du travailleur de la création, ses motivations, ses compétences, son engagement et sa connaissance du secteur ne conduisent pas toujours au même niveau de succès et de reconnaissance ; en revanche, le développement d’un réseau, le fait de se faire connaître du public et l’acquisition de notoriété sont en interaction constante et constituent des facteurs importants de tout projet artistique et créatif.

 

L’influence de la politique culturelle

Enfin, la politique menée dans le secteur artistique et créatif exerce une grande influence sur la marge de manœuvre des acteurs. La « protection de l’intermittence » (que l’on désigne aussi par le vocable de « statut de l’artiste9 ») représente, pour les artistes et les travailleurs de la création qui travaillent exclusivement sous contrats de courte durée, une amélioration considérable de leur situation financière ; elle renforce aussi – et c’est logique – leur motivation à mener un parcours durable. Il existe ainsi une interaction permanente entre la politique culturelle, d’une part, et les activités quotidiennes du secteur, d’autre part. Comment la politique culturelle définit-elle le rôle social de l’art ? Le soutien financier de la politique culturelle accorde-t-il un espace plus important à l’art autonome, ou la combinaison avec les formes d’arts appliqués (comprenez : la diversification des compétences) devient-elle un mal nécessaire ? Il va de soi que l’aide apportée aux artistes et aux travailleurs de la création, qui va du « statut de l’artiste » à l’octroi de bourses, au financement d’ateliers publics, à l’organisation de concours, etc., peut donner un coup de pouce au trajet professionnel. Force est toutefois de constater que tous les artistes ou travailleurs de la création ne peuvent prétendre à la « protection de l’intermittence », et que le soutien aux artistes se limite souvent à un domaine artistique bien défini (on peut citer en exemple les arts plastiques et la littérature). De ce fait, les nouvelles formes artistiques et les projets transdisciplinaires éprouvent souvent des difficultés financières en raison de leur caractère « inclassable ».


 

 

9 La « protection de l’intermittence » est un régime spécifique (visé par l’article 116, paragraphe 5, de l’A.R. du 25 novembre 1991) en faveur des artistes et des techniciens qui travaillent exclusivement dans des contrats de courte durée et dans une vision restrictive aux artistes du spectacle, aux artistes créateurs qui « tournent » avec le spectacle et aux techniciens du spectacle. Il peut s’agir de musiciens, d’acteurs, de danseurs, de metteurs en scène, de scénaristes, de chorégraphes, de costumiers, de constructeurs de décors, de techniciens lumière, etc. Cette règle permet de maintenir au même niveau leurs allocations de chômage pendant 12 mois. Au cours de l’année précédente, le bénéficiaire doit avoir travaillé au moins trois fois comme artiste ou technicien du spectacle sous contrat de courte durée.

 

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