Déterminants d’un parcours durable dans le secteur artistique et créatif
La créativité, l’authenticité, les réseaux, la diversité des compétences, la gestion des risques, le charisme, la mise en balance des intérêts, la réflexion, la persévérance, le développement, le sens de la clientèle, etc. La liste des déterminants qui ont une influence sur un parcours durable est infinie. Aussi voudrions-nous articuler notre étude autour des aspects suivants : 1) l’art (les compétences) ; 2) l’artiste et 3) l’environnement artistique. Il n’existe toutefois pas de recette miracle. La logique qui préside à notre raisonnement n’est donc pas : déterminant 1 + déterminant 2 = succès. Les déterminants et les compétences que nous allons examiner de plus près sont des conditions certainement nécessaires, mais pas suffisantes pour s’assurer un parcours durable dans le secteur artistique et créatif.
1. L’art : diversification des compétences et des activités
La réalité socioéconomique de l’artiste et du travailleur de la création est irréversible : il évolue dans un cadre hyperflexible dans lequel le travail par projet s’est généralisé. Pour survivre dans ce contexte, l’artiste ne peut « céder à la tentation du repli sur soi et à l’illusion du travail autonome6 ». Outre l’essence même de la production artistique autonome, l’artiste peut s’appuyer sur des activités secondaires, plus ou moins liées à son activité principale. Autrement dit, il cumule des fonctions artistiques, para-artistiques et non artistiques. La diversification des compétences dans le domaine de la communication, de l’entreprenariat et de la création accroît aussi dans une large mesure la flexibilité d’un trajet professionnel dans le secteur artistique et créatif. Ainsi, l’artiste et le travailleur de la création peuvent, premièrement, diversifier leurs activités sur le plan interne, en pratiquant l’art dans le plus possible de contextes de travail différents. Par exemple, un musicien peut offrir ses services dans le cadre non seulement de concerts, mais aussi de projets dans le secteur audiovisuel (radio, télévision, postsynchronisation, etc.). Ils peuvent, deuxièmement, élargir leurs compétences aux activités connexes : tâches administratives, enseignement artistique, etc. Enfin, les revenus supplémentaires tirés d’une activité professionnelle non artistique exercée à titre complémentaire relèvent de la diversification externe.
Beaucoup d’artistes et de travailleurs de la création se trouvent donc dans une situation différente de celle des travailleurs classiques qui se constituent durablement, année après année, leurs droits à une pension auprès du même employeur. Si l’artiste veut continuer à enchaîner des projets successifs, il lui est plus que jamais nécessaire de bien gérer son temps et de tenir à jour un agenda structuré. Ainsi, les artistes et les travailleurs de la création gèrent un enchaînement de projets différents (à des périodes de travail succèdent des périodes d’inactivité), mais idéalement, ils devraient gérer plusieurs projets simultanément. Il va de soi que la mobilité géographique, l’efficience et la recherche d’un équilibre entre les compétences artistiques et commerciales contribuent considérablement à l’élaboration d’un parcours professionnel dans ce contexte d’emploi hyperflexible.
L’étude De Hybride Kunstenaar7 examine de près trois groupes d’anciens étudiants d’écoles supérieures d’arts plastiques en Flandre et aux Pays-Bas. Il ressort des résultats que pas moins de 86 % des anciens étudiants combinent des formes artistiques autonomes et appliquées (activités dans le design, commandes artistiques, travaux d’illustration, enseignement). Nous avons déjà fait allusion, dans les lignes qui précèdent, au discours économique basé sur le travail par projet, qui est une forme de travail très présente dans le secteur artistique et créatif ; les compétences en communication, l’entreprenariat, le sens des responsabilités, la réflexion critique et la capacité à concilier valeurs artistiques et impératifs économiques gagneront de plus en plus en importance, à côté de l’activité artistique autonome ; l’étude L’artiste, un entrepreneur ?, publiée par SMart en 2011, porte sur cette matière.
2. L’artiste : précaire, mais authentique
La réalité du secteur artistique et créatif est précaire : non seulement les possibilités d’emploi, mais aussi la production d’œuvres d’art (sous quelque forme que ce soit) sont incertaines étant donné que leur originalité esthétique n’est pas mesurable à l’aune de critères uniformes. Pourtant, cette précarité peut être considérée comme un facteur potentiel de succès. En effet, l’incertitude engendre l’innovation et, en cela, elle favorise la recherche de l’originalité. « C’est ce qui confère à la compétition une indétermination suffisante pour que le nombre d’aspirants artistes dépasse de beaucoup celui qui serait atteint si une anticipation parfaitement rationnelle des probabilités de succès était à leur portée8. »
Une telle course à l’originalité s’exprime logiquement par une recherche d’authenticité et de reconnaissance. L’authenticité artistique, c’est-à-dire la possibilité de faire des choix qui permettent de façonner sa vie personnelle, offre à l’artiste et au travailleur de la création l’occasion de construire leur propre identité. Cette « personnalisation » de l’œuvre et de la vie avait très bien été comprise par certains « grands », tels que Duchamps, Dali et Van Gogh, qui avaient chacun leur vie et leur personnalité propres. Ceux qui occupent les « degrés inférieurs de la pyramide » doivent eux aussi participer à cette course à l’innovation en contestant les modèles existants et en espérant devenir ensuite eux-mêmes un modèle. Le fait de pouvoir et d’oser prendre des risques est donc incontestablement un élément inhérent à la réalité des artistes et des travailleurs de la création, ainsi qu’à leurs chances de succès.
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