Déterminants d’un parcours dans le secteur artistique et créatif
Malgré la singularité et la variété des parcours professionnels dans le secteur artistique et créatif, on peut identifier un ensemble de facteurs qui contribuent au développement des trajectoires professionnelles dans les métiers de la création. Le parcours professionnel dans ces métiers peut en effet s’apparenter à un processus progressif de constitution d’un portefeuille d’activités, de clients et de ressources. Dans les pages qui suivent, nous allons tenter de répondre à la question suivante : quels sont les facteurs susceptibles de faire, mais aussi de défaire, le parcours professionnel de l’artiste et du travailleur de la création ?
Le contexte macroéconomique
On peut d’emblée affirmer que le contexte macroéconomique du secteur artistique et créatif fait obstacle à la durabilité des parcours. Qui aspire à une trajectoire durable dans les arts est tôt ou tard confronté à l’économie du « winner takes it all » et à l’« income penalty ».Quelques éclaircissements s’imposent ici.
Sur un marché du travail classique, la rémunération dépend des prestations en termes absolus. Considérons par exemple deux travailleurs : le travailleur A remplit 100 boîtes en un jour, tandis que le travailleur B n’en remplit que 99 dans le même laps de temps. Le travailleur B a donc produit 1 % de moins que le travailleur A ; la conséquence logique est qu’il reçoive aussi 1 % de rémunérations en moins. En revanche, dans une économie du « winner takes it all », la rémunération repose sur une base relative. Si l’athlète A court 1 % plus vite que l’athlète B, il remporte tout et l’athlète B n’obtient rien. L’histoire ne s’arrête toutefois pas là. Le gain de l’athlète est objectivement mesurable ; par contre, la vente d’une œuvre d’art, l’achat d’une place de concert, l’obtention d’une commande, etc. ne dépendent pas d’une échelle de mesure objectivable : le « gagnant » décroche la commande, tandis que les autres restent les mains vides. « Dans les arts, les rémunérations reposent dans une large mesure sur les performances relatives. De légères différences de performances peuvent entraîner de grandes différences de revenus. » Le mécanisme que l’on voit à l’œuvre ici est celui de l’« avantage cumulatif ». De très faibles différences au début de la trajectoire professionnelle (différences de capacités intellectuelles, rapidité d’achèvement des études, rencontres fortuites, capacité de concentration et d’imagination et pensée divergente) peuvent s’accumuler au fil du temps, se renforcer mutuellement et entraîner d’autres avantages, pour déboucher au final – à un stade ultérieur de la trajectoire – sur une très grande disparité entre l’artiste A et l’artiste B. Nous ne nous prononcerons pas sur la question de savoir si cette différence de succès est justifiée.
Ceux qui entament un parcours professionnel dans le secteur artistique et créatif sont frappés d’un double « income penalty » : ainsi, non seulement le revenu moyen dans le secteur artistique et créatif est plus faible que sur le marché général, mais en plus la répartition des revenus est très inégale. Un petit réseau, souvent fermé, d’artistes de haut niveau décroche la timbale, tandis que les artistes et les travailleurs de la création qui occupent les « degrés inférieurs de la pyramide » doivent se partager une fraction beaucoup plus petite des revenus totaux entre un nombre nettement plus important de personnes. Plusieurs analyses4 indiquent que les coûts du travail dans le secteur artistique et créatif augmentent d’année en année, alors que la productivité resterait inchangée, ce qui aurait pour effet, globalement, de faire baisser aussi les revenus (financiers) dans le secteur à long terme. Cette vision apparaît cependant trop étroite si l’on considère, par exemple, le montant facturé à SMart (via l’outil de gestion de contrats). Ce montant a connu une forte croissance au cours des 10 dernières années, jusqu’à atteindre plus de 100 millions d’euros en 2012. Les revenus non financiers, comme la reconnaissance, l’expression de soi et le capital social et culturel, doivent être pris en compte : nous aurons l’occasion de revenir sur ce point plus tard.
En effet, l’art et la création sont notamment déterminés par des facteurs économiques, mais le raisonnement ne s’arrête pas là. Ainsi, on peut faire valoir que la productivité des arts a bel et bien augmenté au fil du temps et que les artistes et les travailleurs de la création ne sont pas seulement motivés par les revenus financiers et d’autres considérations du même ordre. « Par conséquent, en termes de revenu financier, il n’est pas payant de devenir artiste. Les revenus moyens sont faibles, voire extrêmement faibles. Néanmoins, la volonté de travailler pour un faible revenu est élevée5. » La concurrence, la fluctuation des revenus, laflexibilité et toute une série de risques rendent l’avenir quasiment incertain. Dans le même temps, d’autres considérations entrent en ligne de compte : motivation et détermination énormes, reconnaissance et satisfaction. Les artistes et les travailleurs de la création se caractérisent plutôt par une « vocation ». Se pose alors une question très intéressante : pourquoi ceux qui se hasardent à un parcours professionnel dans le secteur artistique et créatif, en dépit de circonstances macroéconomiques incertaines, sont-ils si nombreux ? Les 17 000 membres de SMart qui, en 2012, ont presté au moins un contrat le démontrent. Pour ceux qui veulent affronter cette réalité macroéconomique, voici à présent un aperçu des principaux déterminants d’un parcours durable.