Le démarrage du parcours d’artiste ou de travailleur de la création : une sinécure ?

Nul ne peut prédire la réussite d’un parcours professionnel dans les métiers de la création ; mais ce qu’on peut affirmer avec certitude, c’est que le début du parcours n’est pas une sinécure. Dans cet article introductif, nous allons porter notre attention sur les déterminants principaux d’un parcours durable en tant qu’artiste. Ces paramètres vont de la recherche d’authenticité à l’importance des réseaux, de l’obtention de subsides à la diversification des compétences, du facteur chance à l’influence de la politique culturelle. En effet, se lancer dans les métiers de la création reste une aventure difficile mais passionnante.

careerA priori, le parcours des artistes et des travailleurs de la création1 est une donnée socioéconomique inscrite dans le cadre d’une économie qui, dès le début des années 1990, s’est mise à évoluer profondément dans chaque secteur, et donc aussi dans celui de l’art et de la création. L’économie hiérarchique, organisée de haut en bas, a fait progressivement place à un discours économique nouveau, dans lequel le travail par projet, de même que l’authenticité, la responsabilité personnelle, la liberté et la créativité, ont servi de devise au travailleur. «L’artiste est le travailleur modèle de la nouvelle éthique du travail. La créativité est considérée comme une qualité indispensable dans l’environnement du travail, raison pour laquelle le néomanager accueille à bras ouverts l’autonomie (artistique) du travailleur créatif – d’autant plus qu’il sait très bien que les bonnes idées ne peuvent fleurir que dans la liberté2. ». Autrement dit, quiconque veut se maintenir dans la réalité actuelle du travail par projet doit obligatoirement combiner deux qualités : celle de l’artiste et celle de l’entrepreneur.

Le bureau d’études de l’Association professionnelle des métiers de la création – SMart a entamé en 2013 une recherche sur les parcours professionnels dans les métiers de la création, à partir de la base de données des membres de SMart. L’objectif de cette étude est double : d’une part, identifier les facteurs qui déterminent ces parcours ou trajectoires et les stratégies mises en œuvre par les artistes et travailleurs de la création pour exercer leur activité dans la durée (diversification des activités, réseautage, ajustement des aspirations, etc.) ; et d’autre part, établir une typologie de ces parcours en fonction notamment de l’évolution des revenus, du volume ou de la continuité de l’activité. Le présent article pose le cadre de cette réflexion autour des parcours des artistes et travailleurs de la création : à quoi correspondent ces trajectoires ? Quels en sont les moteurs et les freins ? Enfin, le début de chaque parcours retient notre attention, et plus précisément les difficultés d’entrée dans les métiers de la création, dans le contexte actuel de crise économique.

 

Le parcours, une succession d’étapes retraçant l’histoire des travailleurs de la création

Les parcours professionnels dans les métiers de la création sont des itinéraires singuliers marqués par des étapes successives et des positions dans la pyramide professionnelle évoluant avec le temps, sans ordre préétabli. Un parcours retrace donc l’histoire d’un artiste ou d’un travailleur de la création : depuis sa formation et ses premières expériences de travail jusqu’à sa sortie de la profession, en passant par ses projets et engagements successifs mais aussi par l’apprentissage des règles en vigueur dans son secteur, les rencontres et événements décisifs, son insertion dans des réseaux, l’acquisition de nouvelles compétences, la construction de sa réputation, etc.

Fotolia 69086784 XSEn résumé, on identifie généralement plusieurs temps dans la trajectoire des artistes et travailleurs de la création :

  • l’initiation à la pratique artistique ou créative et la socialisation par les pairs, la famille, l’école, etc. ;
  • le parcours de formation (incluant des modes d’apprentissage formels et informels) ;
  • l’entrée dans le métier (en prenant comme repère la date du premier contrat rémunéré) et la période critique d’insertion professionnelle au cours des premières années ;
  • l’exercice de l’activité professionnelle dans la durée ;
  • et enfin, la fin de trajectoire, qui peut être prématurée, prendre la forme d’une reconversion, d’un abandon ou d’une éviction pure et simple du marché du travail artistique et créatif.

 

Nous choisissons de ne pas employer le terme de « carrière » qui renvoie davantage à un parcours standardisé lié aux notions de réussite ou d’ascension dans une hiérarchie professionnelle. Or, il existe une diversité de parcours professionnels dans les métiers de la création qui sont loin d’être linéaires et ascendants, notamment en termes de réussite ou de revenus. Ainsi, les trajectoires peuvent être en dents de scie, c’est-à-dire qu’elles peuvent alterner entre des phases ascendantes puis descendantes et vice versa. Il y a également des ruptures d’activité dans un parcours, entre deux engagements par exemple, avec la généralisation progressive du travail par projet dans les métiers de la création. Ainsi, les artistes et travailleurs de la création évoluent de plus en plus dans une organisation du travail par projet : « Les personnes ne [font] plus carrière mais [passent] d’un projet à un autre, leur réussite sur un projet donné leur permettant d’accéder [éventuellement] à d’autres projets plus intéressants3. »


 

 

1 Depuis le 1er janvier 2012, les critères d’affiliation à SMart en qualité d’artiste ou de travailleur de la création sont plus stricts. Pour devenir membre, il faut exercer une activité qui relève de la notion des métiers de la création, à savoir les métiers artistiques (musicien, artiste plasticien, etc.), les métiers technico-artistiques (construction de décor, son et lumière, etc.), les métiers connexes au secteur artistique (production, distribution, etc.) et tous les autres métiers qui font historiquement partie de SMart et qui partagent des similitudes importantes avec les travailleurs de la création (animation, métiers de l’Internet, etc.).
2 Van Winkel, C., Gielen, P. & Zwaan, K., De hybride kunstenaar : de organisatie van de artistieke praktijk in het postindustriële tijdperk, Expertisecentrum Kunst en Vormgeving,AKV l St. Joost (Avans Hogeschool), Breda, 2012.
3 Boltanski, L. & Chiapello, E., Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, Paris, 1999, p. 144.

 

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