Accompagner les « carrières au projet » : gérer la complexité, sécuriser les parcours
Comme nous venons de le voir, tantôt le jeune acteur se place sous l’autorité d’un metteur-en-scène pour faire valoir son talent d’interprète, tantôt il prendra la plume pour monter son dossier, son propre spectacle. Selon son inspiration, selon les opportunités d’embauche qu’il rencontre, le jeune comédien est donc un professionnel qui flirte autant avec le profil de l’indépendant (autonome et entrepreneur) qu’avec le profil du salarié (un subordonné se mettant au service d’un autre). Comment, dès lors, encadrer et accompagner un travailleur aussi polymorphe ? Comment sécuriser de tels parcours ? Comment prendre en compte cette variété dans l’exercice d’un même métier ?
par quatre jeunes acteurs-créateurs dilpômés de l'ESACT Liège
Parmi les nombreux outils composant l’offre de services de SMart7, l’outil « Activités » de « Productions associées » nous apparaît constituer une réponse intéressante à la problématique de la complexité liée à des parcours d’insertion pluriactifs et s’appuyant sur des logiques de carrière diversifiées. Cet outil permet, en effet, à ses membres de gérer simultanément divers projets, les Activités, au sein d’une structure collective de production (les Productions Associées). Que son souhait soit de développer son insertion à la fois comme interprète et créateur, ou uniquement comme créateur, le membre peut ouvrir une activité dont il sera l’administrateur responsable. Le dispositif proposé par SMart permet ainsi de recréer une enveloppe structurante autour de parcours pluriactifs complexes des artistes en insertion. Toutefois, on peut s’interroger sur les effets plus subjectifs (notamment en terme de construction de l’identité professionnelle) que suppose ce dispositif.
Alors que, pendant longtemps, le paysage du secteur culturel a été majoritairement constitué de micro structures sous statut d’ASBL, Productions Associées rendraient celles-ci inutiles. En tout cas, la plus-value administrative contenue dans la structuration en ASBL n’est plus évidente. Mais dès lors, des questions peuvent être soulevées : qu’en est-il, par exemple, des objectifs communs pourvoyeurs de sens et précédemment circonscrits dans l’objet social des ASBL ? L’intérêt d’un tel outil et les avantages qu’il offre aux artistes, créateurs et/ou entrepreneurs en insertion, ne doivent pas oblitérer les questions relatives aux impacts de ces nouvelles formes d’organisation du travail et de structuration des parcours sur l’identité professionnelle des jeunes artistes.
Ainsi, plusieurs points se dégagent de cette réflexion sur le travail au projet chez les comédiens : autant d’enjeux, de défis et de caractéristiques à prendre en compte pour tous les métiers où s’impose cette rhétorique du « projet ». Par exemple, il convient de se demander : comment s’enchaînent concrètement les projets ? S’agit-il d’une logique séquentielle (fondamentalement plus aisée à gérer et à encadrer) ou d’une logique plus éclatée ? Quels aménagements juridiques permettent de sécuriser l’enchaînement, les périodes de transitions dans des parcours relativement chaotiques, en tout cas polymorphes ? Les éventuelles complications administratives engendrées en vue de cette sécurisation complexe sont-elles réellement respectueuses des pratiques en vigueur ? La formulation d’une identité professionnelle commune est-elle maintenue accessible ? En quoi ? Sous quel statut ? Soutenue par qui ? Quelles structures collectives permettent aux comédiens de se rassembler dans le respect de leur diversité ?
Et enfin, au regard de la contamination de nombreux autres secteurs d’activités par le « travail au projet », des débats actuels sur l’intermittence, et des réformes continuelles et toujours inabouties de ce fameux « statut d’artiste », quel devrait être le périmètre d’application des nouvelles solutions recherchées ? Doit-il se limiter aux métiers artistiques, concerner l’ensemble des métiers de la création, ou s’étendre à l’ensemble des travailleurs concernés aujourd’hui par le travail au projet et la pluriactivité ?
Rachel Brahy et Virginie Xhauflair
Septembre 2014
Rachel Brahy est sociologue et docteur en sciences politiques et sociales de l’ISHS-ULG. Elle est actuellement coordinatrice de la Maison des Sciences de l’Homme de l’ULg.
Virginie Xhauflair est anthropologue et docteur en sciences de gestion de HEC-ULG et de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle est actuellement titulaire de la Chaire Baillet L
2 ORIANNE J.-F., BRAHY R., FRAITURE S., MEGHERBI S., 2010, L’insertion professionnelle des comédiens. Etude de cas à la sortie du Conservatoire royal de Liège, Les Editions de l’Université de Liège.
3 Mal nommé, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un statut distinct, mais plutôt d’un ensemble de dispositions qui facilitent l’accès aux allocations de chômage aux artistes pouvant faire la preuve d’un certain volume d’activité artistique dans une période donnée.
4 Article 170 de la loi programme du 24 décembre 2002. Pour plus de précisions sur le statut social des artistes voir SMartbe, Le statut social de l’artiste, document disponible sur : http://infofr.smartbe.be/IMG/pdf/110930-Statutartiste-2.pdf (12 pages).
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