L’insertion professionnelle des comédiens et le travail au projet

Ceci représente pour la plupart des comédiens une condition essentielle de « survie ». En effet, les activités de ces travailleurs étant par essence intermittentes, sans l’accès aux allocations de chômage, la plupart des comédiens se trouveraient dans une situation très précaire, si l’on excepte les « vedettes » dont la rémunération suffit à assurer leur quotidien. Sans détailler plus avant ces aménagements législatifs et réglementaires, insistons sur un point : l’obtention du « statut de l’artiste » vient sécuriser les parcours ! Il permet, dans une certaine mesure, d’accepter l’incertitude liée à la logique d’une carrière « aux projets ». Toutefois, pour y avoir droit, il convient logiquement de démontrer sa bonne insertion dans le métier (par le nombre de ses « cachets » ou le montant de ses « rémunération »).  C’est ainsi que se constituent des parcours éclatés où s’accumulent des contrats variés, des projets sans  véritable cohérence entre eux.

En effet, la réalité du « travail au projet » lors de la phase de primo-insertion manifeste l’éclatement et l’articulation des parcours individuels, appuyés sur des stratégies de pluriactivité et de polyvalence. Comme nous venons de le dire, le jeune comédien s’oriente en priorité vers l’acquisition du statut. Pour ce faire, comme le note Paradeise5, il exerce dans différents secteurs : tant dans les secteurs dits « classiques » (le théâtre, la télévision, la radio, le cinéma, le café-théâtre, le cabaret, etc.) que dans les secteurs plus marginaux (postsynchronisation, doublage, publicité) voire périphériques (animation, enseignements) ou extérieurs (certains contrats de serveur pouvant, parfois, être interprétés administrativement comme des contrats artistiques, selon l’institution qui embauche).

Fotolia 41334561 XSAinsi, à la sortie de l’école, le jeune acteur s’engage dans une période d’hyperactivité et de pluriactivité, où des arbitrages incessants doivent être effectués, comme nous l’avons déjà évoqué. Est-il utile d’accepter (ou non) cet emploi rémunérateur mais non prestigieux sur le plan réputationnel ? Faut-il vraiment rester disponible pour cette audition de quelques heures dont l’issue est incertaine ? Est-il préférable de fréquenter tel endroit, d’aller voir tel spectacle, d’envoyer tel courrier à tel metteur en scène ou de s’investir dans la composition d’un dossier pour une création ?

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 Photos © seandeburca (à gauche) et © Innovated Captures (à droite) - Fotolia.fr
 

Fondamentalement, les jeunes acteurs doivent articuler deux exigences qui, en théorie, ne sont pas contradictoires mais qui, en pratique, s’avèrent souvent difficilement compatibles. D’une part, « il faut bien vivre » et, pour cela, toute activité rémunératrice est bonne à prendre, même si elle s’inscrit en dehors des secteurs d’activités de la profession. D’autre part, l’ambition est bien de s’installer dans le métier et, pour ce faire, le secteur classique (cf. Paradeise, 1998 op.cit.) semble a priori le plus sûr moyen d’y parvenir.

À cette pluriactivité s’ajoute encore la polyvalence des jeunes acteurs. En effet, la plupart des comédiens rencontrés assument aussi bien des fonctions d’interprète que de créateur (voire d’animateur ou d’enseignant). Si la distinction entre interprétation et création est forcément discutable – notamment parce que l’activité d’interprétation suppose intrinsèquement de créer un rôle, un personnage – on peut néanmoins s’y référer pour distinguer deux stratégies idéales-typiques dans l’insertion professionnelle et la construction des carrières. En effet, ces deux voies (l’interprétation et la création) tracent deux logiques de carrières différentes qui peuvent privilégier deux logiques du travail au projet distinctes.

D’une part, suivant la logique de carrière du « comédien interprète », il s’agit de se positionner comme un « produit » auprès d’un metteur-en-scène, d’un mentor, en bref d’un responsable de notre valorisation. D’autre part, suivant la logique de carrière du « comédien créateur », le comédien devient véritablement « entrepreneur ». Potentiellement, il se présente alors comme l’entrepreneur de ses idées, de ses écrits, de lui-même. Dans la pratique, évidemment, les jeunes acteurs sont souvent amenés à endosser l’une et l’autre casquette, au gré des circonstances et des opportunités.

On le voit, l’entrée des jeunes comédiens sur le marché du travail se manifeste par une logique de travail au projet, non plus séquentielle, mais largement désordonnée, éclatée et caractérisée par une polyvalence et pluriactivité non organisées. Tout ceci pose dès lors la redoutable question de la mise en cohérence, généralement nécessaire à l’épanouissement des individus et à la mise en place d’un accompagnement approprié. Or, sur le plan, juridique, administratif et même identitaire, l’articulation n’est pas aisée.

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