L’insertion professionnelle des comédiens et le travail au projet

Concernant les métiers de la création, on parle souvent de «travail au projet» : quelles réalités recouvre cette expression ? Que signifie la « logique du projet » dans le travail artistique ? S’agit-il d’un standard des carrières artistiques ? La logique du projet est-elle superposable à ce que recouvre le concept d’« intermittent » ? Et pour ce qui relève du métier de comédien, que signifie concrètement le terme « projet » ?  S’agit-il d’un mode d’organisation du travail, ou plutôt d’une modalité d’emploi ? S’agit-il d’être flexible, de polyvalent, voire pluriactif ? Des difficultés (notamment en termes de construction de l’identité professionnelle et d’insertion sur le marché du travail) découlent-elles de cette réalité spécifique ? Comment les jeunes comédiens sont-ils (ou non) préparés à les affronter ? Sur quels apprentissages peuvent-ils compter ? Des dispositifs spécifiques sont-ils destinés à accompagner ces carrières ?
Ces questions intéressent et interpellent, et ce désormais au-delà du monde artistique.  En effet, ces pratiques inscrites dans le monde du théâtre et de la formation de l’acteur seraient depuis quelques années en train de se généraliser à d’autres profils de travailleurs1.

 

À l’École Supérieure d’Acteurs de Liège, une pédagogie séquentielle

Selon une enquête effectuée précédemment2, la formation dispensée au sein du Conservatoire royal de Liège par l’École Supérieure d’Acteurs (ESACT) s’attèle effectivement à préparer les futurs comédiens aux réalités du « travail au projet ». Le parcours de formation repose sur des « points de passage obligés » qui forment autant de « projets » distincts. En l’occurrence, un projet consacré aux Études Stanislavskiennes (1), un projet dit « Phrasé »  (2), un projet de jeu farcesque (3), un projet de jeu intérieur (4), une tragédie (5), un projet de jeu épique (6), un projet de jeu face caméra (7). De plus, il est à noter que depuis 2008, les étudiants de l’ESACT sont invités à développer un projet personnel appelé « Solo/Carte blanche » (8). Ces derniers projets se révèlent souvent comme point d’accroche privilégié pour une entrée sur le marché du travail...       

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Projets «Solo/Carte blanche» : Voyage d'hiver (2008) avec Benoît Piret - Blackbird (2010) avec Jérôme de Falloise et Sarah Lefèvre - Photos ©F. Verheyen

               

Le parcours de formation est construit sur des « projets », sur ces « points de passages ». Autrement dit, sur des blocs cohérents qui permettent, à la fois, l’acquisition de compétences et la confrontation à une temporalité spécifique (celle du projet). Ainsi, l’organisation séquentielle de l’activité étudiante offre de sérieuses balises structurantes pour le jeune acteur. Toutefois, le jeune comédien, une fois sur le marché de l’emploi, ne retrouvera pas nécessairement l’ensemble des vertus de cette logique séquentielle. Au sortir de l’école, la cohérence (garantie par les pédagogues) et l’enchaînement rassurant des projets (en trimestre scolaire) sont évidemment mises à mal. 

 

Sur le marché du travail, la logique de projets devient éclatée

Pour le jeune comédien diplômé, la gestion de l’agenda peut rapidement devenir un véritable « casse-tête » : les projets se percutent, se confrontent, se chevauchent… Il convient de hiérarchiser, prioriser. Et, ce n’est pas toujours simple ! Quels sont les bons paris ? Ceux qui permettront d’accumuler suffisamment de contrats, de prestige et de bonheurs ? Quelle activité privilégier ? Ne risque-t-on pas en s’engageant dans un projet de manquer une meilleure opportunité qui s’annonce ? Peut-on faire confiance à cet horizon incertain ? Et comment y intégrer les projets privés, tels que l’arrivée d’un enfant ? Voici quelques-unes des questions qui taraudent constamment les jeunes acteurs à la recherche de contrats et d’une stabilité professionnelle relative.

Sans entrer ici dans les méandres administratifs et juridiques du métier, on peut relever que l’envol hors de l’école est largement orienté par l’obtention du mal nommé « statut de l’artiste3 ». Il s’agit jusqu’à ce jour d’un défi majeur pour tout jeune comédien qui espère durer dans le métier ! Plus exactement, un statut social de l’artiste a été pensé par le législateur afin de tenir compte de certaines spécificités du métier, dont l’activité intermittente. Ainsi, l’application du régime de sécurité sociale des travailleurs salariés a été étendue « à toutes personnes qui, sans être liées par un contrat de travail, fournissent des prestations artistiques et/ou produisent des œuvres contre paiement d’une rémunération pour le compte d’un donneur d’ordre, personne physique ou morale4 ». De plus, ce « statut » permet à l’artiste, alors assimilé à un travailleur salarié, de maintenir au maximum le montant de ses allocations de chômage pendant les périodes de non-emploi.

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