« Les trois serments » : Un regard sur le passé et le présent de la Grande Guerre

Affiche trois sermentsLors de la commémoration du 20 août 1914, dans laquelle l’Université de Liège est fortement impliquée1, il sera proposé au public de la Salle académique, à 17h30, la projection du docu-fiction de 93 minutes Les Trois Serments, du réalisateur Jacques Donjean, et dont nous sommes le scénariste. Produit par les Films de la Passerelle et RTC-Télé Liège, ce film s’inscrit dans le contexte des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale selon un angle particulier : une ligne narrative fictionnelle combinée à une trame historique.   

trois serments grand-pereLe film raconte les moments forts de la Première Guerre mondiale et de l’occupation de la Belgique, en particulier vus de Liège, à travers le récit épistolaire d’un personnage fictif, un grand-père écrivant à sa petite fille Justine. Il lui explique pourquoi il fut amené à formuler trois serments, celui du devoir, celui du cœur, et celui de la mémoire. Mais peut-on tenir ses promesses en temps de guerre ?

Ce récit est illustré par des archives d’époque, des reconstitutions, des lieux de mémoire filmés aujourd’hui et des interviews d’historiens de différentes nationalités. En prenant une perspective liégeoise, mais en l’intégrant dans un contexte historique plus large, le film met en relief ce qu’un destin particulier peut avoir comme résonances universelles.

Les Trois Serments, s’inscrit dans l’histoire en mettant en exergue les événements et les faits d’autrefois, mais il décrit aussi un processus mémoriel, avec une réflexion finale peut-être inattendue sur la question de la transmission de la mémoire entre générations.

La mémoire est la présence du passé dans une société, ses formes d’expression multiples font partie de notre environnement quotidien. Ce passé de la Grande Guerre est présent tout autour de nous, par le souvenir de nos contemporains, dans les monuments, dans les commémorations, l’enseignement, l’environnement culturel, et ainsi se cultive une mémoire vive pour tous ceux qui ont voulu tirer leçon de cette déflagration mondiale. Les Trois Serments  se veut en quelque sorte le médium entre le passé et le présent ; il nous transmet la mémoire des faits de ce passé sombre pour aider chacun à comprendre le présent. Il est également un outil permettant d’appréhender, d’analyser, de synthétiser les trajectoires diverses que le film propose.

En s’appuyant sur notre patrimoine mémoriel, ces traces du passé, le film invite le spectateur à suivre le chemin de la mémoire de la « Der des Der ». 

 

Un contexte commémoratif exceptionnel

Le film n’aurait pu voir le jour sans le soutien de la cellule « Commémorer 14-18 » de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui abat un travail formidable pour stimuler et coordonner les projets commémoratifs du Centenaire de la Première Guerre mondiale, et de la Province de Liège, dont le dynamisme est exceptionnel dans l’engagement pour un centenaire riche et diversifié au profit de la population2. Les Trois serments sont intégrés dans le triptyque « Mémoire, Progrès et Citoyenneté » de notre institution provinciale qui comprend aussi d’une part l’exposition itinérante sur le thème « Liège 1914-1927. Mort et résurrection d’un bassin industriel » réalisée par le Centre d’Histoire des Sciences et des Techniques de notre Université, et d’autre part un dossier pédagogique étoffé. On notera aussi le soutien amical en faveur du projet du film du Centre Culturel des Chiroux.

Au demeurant, un des mérites de la commémoration liégeoise est de mobiliser des forces vives issues à la fois de l’Université, de la Province de Liège, et de la Ville de Liège pour offrir ce grand moment mémoriel, qu’incarne aussi l’exposition double composée de « J’avais 20 ans en 1914 » à la gare Calatrava et « Liège dans la tourmente » au Musée de la Vie wallonne. Cette exposition est d’ailleurs considérée par la presse internationale comme la plus grande exposition au niveau mondial dédicacée à 14-18 à l’occasion du Centenaire.

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Ajoutons que le DVD du film Les Trois Serments est maintenant disponible, en quatre langues (français, néerlandais, allemand, et anglais3), avec des bonus qui concernent notamment un regard croisé d’historiens sur la question : pourquoi commémorer ?

 

La signification de la commémoration liégeoise

95034958 oC’est en Province de Liège que débute la Grande Guerre. C’est sur son territoire que le premier tué de la Première Guerre mondiale est tombé. En effet, le soir du 4 août, le viol de la frontière belge conduit la Grande-Bretagne à déclarer la guerre à l’Allemagne, entraînant tout l’Empire britannique dans le conflit.

Liège inaugure le drame, la brutalisation du 20e siècle. Les Liégeois subissent le choc de plein fouet, les militaires mobilisés comme des civils froidement massacrés. Mais Liège offre une résistance militaire inattendue, héroïque, alors que la plus puissante armée du monde à l’époque a violé la frontière de la Belgique neutre, sans déclaration de guerre.

En termes de marquage dans la durée, ces épisodes d’août 1914 constituent un moment bref, et dense en événements, un traumatisme inédit pour nos populations, mis en lumière au niveau mondial dans la presse du temps. Le monde entier est stupéfait du sort fait à la « Poor Little Belgium », et frappé par la volonté de lutter de l’armée belge,  conduite par le roi   Albert Ier.

soldats fortLe pays de Liège, comme les autres provinces belges, connaît ensuite une occupation militaire brutale et longue de quatre années, une vie quotidienne très rude dans une expérience de guerre totale où les soldats belges qui se battent sur le front sont coupés, séparés d’un « arrière » où résident les leurs. Liège fait partie de cet « impossible arrière » qui est en somme en « territoire ennemi ». Dans ce contexte, la faim, les réquisitions, la répression, la déportation des travailleurs, alors que des centaines de milliers de Belges ont été contraints à l’exil, devenus des réfugiés, constituent une réalité qui était impensable quelque temps avant la guerre, mais une résistance s’organise dans l’ombre, à travers des réseaux et des individus, lutte clandestine et dureté interminable de cette vie quotidienne faite de souffrances sont entrelacés. En termes de marquage dans le temps, c’est une longue durée, où les événements sont moins retentissants en apparence, mais où se déclinent à Liège toutes les spécificités du cas belge dans la Première Guerre mondiale, aliments de la mémoire de celle-ci après la fin des hostilités. Les Trois Serments combine cette double temporalité.

C’est pourquoi Liège, la première ville hors de France à avoir reçu la Légion d’honneur, est l’une des trois villes officielles de la commémoration du Centenaire organisée par le gouvernement fédéral, avec Ypres en octobre prochain et Bruxelles en novembre 2018. Le 4 août 2014 eurent d’ailleurs lieu à Liège les manifestations officielles inaugurales du centenaire au niveau international, en présence de dizaines de chefs d’État et délégations officielles. L’écho de cet événement fut mondial. Notons que le DVD du film Les Trois serments a été offert en cadeau par la Province de Liège aux chefs d’État et délégations officielles.

 

Mémoire vive

Il est frappant de constater la montée en puissance du Centenaire de la Première Guerre mondiale depuis quelques mois. On découvre à cette occasion que la Grande Guerre nous parle encore, dans la mesure où – et c’est d’autant plus vrai pour la Belgique – ce conflit a été un événement fondateur et ses conséquences influencent encore notre époque contemporaine. Cette guerre a été le laboratoire des guerres du 20e siècle à la fois en termes d’atrocités contre les civils  – et à ce propos rappelons que le génocide arménien, tragédie hors-norme, date de 1915 –  d’occupation militaire, de résistance ou encore de puissance de destruction massive par un armement sophistiqué, y compris chimique comme les gaz de combat.

97035541 oEn outre, la lecture de la Première guerre mondiale et son traitement mémoriel a changé. Notre vision de ce conflit ne se résume plus, comme il y a une ou deux générations, à un affrontement absurde, inexplicable, où les nations envoyaient leurs hommes à l’abattoir, victimes contre victimes, sous le cruel regard du deus ex machina de la guerre. Les historiens cherchent à déterminer désormais la signification de cette guerre pour les contemporains, et les comportements et attitudes mis en œuvre pour répondre à la radicalité de ce moment historique, y compris dans la vie quotidienne des populations civiles.

Par ailleurs, notre relation à la mémoire a évolué aussi. Sa dimension pédagogique est nettement plus soulignée qu’autrefois. Nous ne sommes plus à une époque où l’on célébrait pour célébrer sans comprendre. On ne peut pas dissocier la commémoration de la réflexion historique. Que signifient la guerre, la paix ? Sur quoi se fondent nos valeurs ? Que vaut la liberté ou l’égalité dans un pays occupé, lorsque les principes de la Constitution sont bafoués ? Quel est le sens d’une résistance ? Le cas de la Belgique pendant la Première guerre mondiale nous ramène à ces questions toujours fondamentales. Cette évolution de la signification d’une commémoration est propice à une réflexion qui concerne les citoyens d’aujourd’hui et de demain. Enfin, une commémoration pareille est l’un des rares moments sociaux où la rencontre entre générations est à ce point mise en valeur. Or les relations intergénérationnelles constituent un socle indispensable à la vie de toute société. Qui peut dire qu’il n’a pas, ces temps-ci, en résonnance avec la commémoration de 14-18, songé à ses arrière grands-parents, voire à ses grands-parents ?

C’est un Centenaire qui restera dans les mémoires.

 

 

Philippe Raxhon
Août 2014

 

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Philippe Raxhon enseigne la critique historique et l'histoire contemporaine à l'ULg. Ses principales recherches portent sur les relations entre l'histoire et la mémoire. Il est le scénariste et conseiller historique du film.

 

 


 

 

1 Voir le programme complet : www.ulg.ac.be/1418

2 Voir le programme varié : www.liege1418.be

3 Il sera bientôt largement diffusé. On peut déjà l’acquérir via le site de la Passerelle : www.les3serments14-18.com
Les Trois Serments sont aussi sur facebook où l’on peut suivre l’actualité du film : https://www.facebook.com/les3serments?fref=ts