Exposition : Hiroshi Sugimoto. Aujourd’hui le monde est mort

sugimoto1Le photographe Hiroshi Sugimoto est surtout connu pour ses clichés de mers plates et métalliques. Ou pour sa série d’écrans blancs photographiés dans des salles de spectacles vides. Mais l’artiste japonais développe aussi depuis quelques années un projet plastique et conceptuel complexe, généralement associé au registre de l’installation et basé sur la mise en relation de textes, de photographies et d’objets/antiquités empruntés à sa collection personnelle. Avec ses grands espaces et son aspect général de chantier, le Palais de Tokyo offre aujourd’hui à Sugimoto le terrain de jeu idéal pour ses recherches.

Aujourd’hui le monde est mort se présente comme une installation totale où tous les éléments participent d’une même fiction catastrophiste. « Installation totale » car toutes les pièces présentées sont liées les unes aux autres : loin de s’accorder aux grandes foires d’art contemporain, où les œuvres sont parfois balancées dans un espace neutre sans autre précaution, l’exposition présente un lieu entièrement conquis par de multiples installations construisant un parcours esthétiquement cohérent mais inattendu. Tous les détails sont travaillés par cette cohérence : matériaux choisis, traces d’usure apparentes, débris entassés, végétation envahissante, objets usuels, taches sur les murs, lumière naturelle et parfois insuffisante – rien ne semble échapper à l’esthétique de la ruine qui anime l’ensemble. Et pour cause. La scénographie complète met en scène 30 variations fictives (ou semi-fictives) sur le thème de la fin du monde. Toutes commencent par les mêmes mots, écrits à la main sans grand effort de présentation par différents professionnels imaginés pour l’occasion (l’informaticien, l’artiste, le journaliste, l’architecte, la poupée gonflable, etc.) : « Aujourd’hui le monde est mort. Ou peut-être hier, je ne sais pas ». Puis d’évoquer dans les 30 notules un aspect déviant ou déglingué de notre société actuelle, poussé à une limite extrême qu’il n’a pas (encore) atteint : extinction totale des abeilles, stérilité des relations et fin de la race humaine, destruction de la terre par des météorites, mort de l’art par effondrement de la cote des œuvres les plus emblématiques du 20e siècle (les sérigraphies Campbell’s Soup de Warhol servent d’exemple : elles sont devenues moins chères que les véritables boîtes de soupe), etc. Tout ce qui est susceptible de déclencher la disparition du monde (les excès du capitalisme, en somme) est relevé par l’artiste, qui invente les pires scénarios et semble presque s’en amuser.

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Car l’extrême pessimisme apparent de l’ensemble revêt ici un caractère ludique qui nous laisse entrevoir l’optimisme solide de l’artiste – moquant seulement la complaisance avec laquelle nous considérons parfois le cours des choses. Il se défend lui-même d’une vision strictement apocalyptique dans un texte placé au seuil du parcours : 

sugimoto2« Dans ce présent restreint, l’unique domaine où mes rêves peuvent encore se déployer est le futur dont la forme n’est pas encore fixée. Imaginer les pires lendemains possibles me procure de grandes joies sur le plan artistique. Les ténèbres du futur éclairent mon présent et la préscience d’une fin à venir est garante de mon bonheur de vivre aujourd’hui. On trouvera dans cette exposition les pires scénarios nés de mon imagination, concernant l’avenir de l’humanité. Il revient aux jeunes générations de prendre toutes les mesures possibles pour que cela ne devienne pas réalité. Je choisis quant à moi de donner libre cours sans réserve à mes intuitions d’artiste. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas garder espoir en l’avenir. Je laisse au dernier survivant le soin de consigner le déroulement de la fin réelle du monde et de préserver les gènes de l’espèce humaine, soit en se transformant en momie, soit en conservant ses gènes dans une éprouvette, ou bien en transmettant une carte ADN de son génome » (Hiroshi Sugimoto, 2014).

 

 

Maud Hagelstein
Juillet 2014

crayongris2 Maud Hagelstein est Chargée de recherches F.R.S.-FNRS à l'ULg, dans la faculté de Philosophie et Lettres. Ses principales recherches portent sur les rapports image/culture.

 


 

Photos © Palais de Tokyo - André Morin (1e et 4e ) - Maud Hagelstein (2e et 3e)
 

Hiroshi Sugimoto. Aujourd’hui le monde est mort
25 avril – 7 septembre 2014

Palais de Tokyo
13, avenue du Président Wilson,
75 116 Paris

http://www.palaisdetokyo.com/