Cet été ne laissera pas en reste les amateurs d’expositions non conventionnelles. Parmi celles-ci, la formule retenue par la fondation de La maison rouge (Paris) se démarque doublement par son efficacité et son originalité. L’équipe a choisi de se passer de la fonction traditionnelle du commissaire pour développer avec le secours de l’informatique un principe d’accrochage aléatoire des œuvres. La construction d’un algorithme mathématique, basé sur la méthode dite de Monte Carlo (allusion aux jeux de casinos), a permis d’instaurer entre les différentes pièces accrochées au mur des rapports strictement basés sur le hasard. Seule la taille des cadres fut indiquée à l’informaticien responsable du processus d’accrochage. Frappé néanmoins par certaines configurations particulièrement éloquentes (plusieurs images semblent fonctionner en écho direct), le spectateur ne peut s’empêcher de résister à l’idée même d’un montage véritablement aléatoire : comment l’algorithme aurait-il pu opérer de tels rapprochements ? D’abord surpris, on finit par accepter l’idée que notre propre sensibilité, éveillée par la proposition, favorise les mises en correspondance qui nous apparaissent ensuite évidentes. Par ailleurs, toutes les œuvres accrochées au mur ont été sélectionnées par un seul homme, Antoine de Galbert, collectionneur et fondateur de La maison rouge, dont on découvre ici la personnalité, le regard, les fantasmes et les obsessions.
À plusieurs reprises dans sa carrière, Antoine de Galbert a travaillé au rapprochement analogique d’œuvres issues de champs géographiques, historiques et axiologiques hétérogènes : art occidental / art extra-occidental ; art moderne / art contemporain ; art officiel / art mineur. Ceci non seulement pour créer des correspondances, éventuellement anachroniques, mais surtout pour interroger de manière inédite le propre de l’art : comment identifier l’art même dans des régions où ce terme n’a pas de sens particulier ? Comment évaluer les œuvres en dehors de toute hiérarchie préconçue ? On connaît la proximité du directeur de La maison rouge avec le commissaire Jean-Hubert Martin, co-responsable de l’exposition « Théâtre du monde » présentée ici à l’automne 2013, mais aussi à l’initiative de l’exposition légendaire Magiciens de la Terre,dont on fête cet été les 25 ans au Centre Pompidou.
Les deux hommes partagent un même défi : présenter l’art contemporain selon un principe intuitif et subjectif, sans sombrer pour autant dans l’éclectisme. Cette démarche a plusieurs effets remarquables. Elle permet de défaire les hiérarchies qui conditionnent les habitudes du spectateur, dont le réflexe consiste souvent à se replier sur ce qu’il connaît. Face au mur, on repère tel ou tel artiste de notoriété internationale (il y en a aussi dans la sélection), comme pour se rassurer. Mais les options d’accrochage nous donnent finalement l’occasion de voir les pièces sans leurs étiquettes – comme si nous pouvions évaluer à nouveaux frais ces œuvres dont le succès masque peut-être parfois l’intérêt réel. Ceci est évidemment une hypothèse partiellement naïve, mais néanmoins génératrice d’expériences. La « méthode » basée sur les rapprochements provoqués peut être qualifiée d’« anti-pédagogique », en un sens qu’il faut préciser. Il s’agit moins en effet d’ajouter des notes de bas de page à des œuvres contemporaines complexes, dans un souci d’explication et de récolte de savoir, que de favoriser chez le spectateur une expérience sensible et intellectuelle spécifique (et librement menée). Pour faire confiance au spectateur et le laisser faire évoluer lui-même ses perceptions, il importe dans un tel projet de rester dans le registre de la suggestion, de la discrétion. Et de ne pas mettre en ordre les œuvres à la place du spectateur.
Maud Hagelstein
Juillet 2014
Maud Hagelstein est Chargée de recherches F.R.S.-FNRS à l'ULg, dans la faculté de Philosophie et Lettres. Ses principales recherches portent sur les rapports image/culture.
Photos La Maison rouge 2014 © Marc Domage
Le mur.
Œuvres de la collection Antoine de Galbert
14 juin – 21 septembre 2014
La maison rouge
10 boulevard de la bastille
75012 paris