Exposition « Tatoueurs, tatoués »

tatoueursOn présentera naturellement « Tatoueurs, tatoués » comme la nouvelle exposition à haute teneur anthropologique du Musée du Quai Branly. Mais son originalité dépasse cette seule dimension : si la valeur ethnologique ou sociologique du tatouage a déjà été explorée dans la littérature scientifique (à défaut d’être bien connue), sa valeur artistique est sans doute plus volontiers négligée par les chercheurs. Intégrer le tatouage aux cultures alternatives dignes d’intérêt esthétique, tel semble être l’objectif avoué des commissaires Anne & Julien, fondateurs en 2010 de la revue Hey ! (éditions Ankama), une publication underground engagée offrant une visibilité méritée à des formes artistiques non conventionnelles, voire totalement marginales – parmi lesquelles le cirque, la bande dessinée, la taxidermie, le street art ou le tatouage. Le projet retenu pour cette exposition vise à montrer le basculement progressif du tatouage – d’abord « traditionnel, ethnographique, tribal ou à visée magique » – vers une dimension ornementale (donc esthétique) absente à l’origine mais s’imposant lentement à partir du 17e siècle, et plus radicalement au début du 19e siècle. Au japon par exemple, qui constitue l’un des foyers créatifs du tatouage, le dessin corporel indélébile associe son destin à celui des estampes.

© musée du quai Branly
photo Gautier Deblonde
 

tattoo japon 2Le tatouage développe dans certains cas des iconographies populaires très sophistiquées (voir par ex. le tatouage chicano) qui se renouvellent sans cesse, enrichies par les échanges culturels aujourd’hui facilités entre tatoueurs d’Amérique du nord, d’Europe et d’Asie, mais enrichies aussi par les désirs spécifiques des individus tatoués. Sans parler des évolutions techniques que l’exposition met également en exergue. Pour manifester la créativité prodigieuse qui anime aujourd’hui encore le geste pourtant ancestral du tatouage, l’équipe du Quai Branly propose en outre 32 œuvres inédites produites par des artistes tatoueurs remarquables : 19 projets dessinés/peints sur des toiles vierges et 13 volumes corporels en silicone directement tatoués.

© Photo by : Tatttooinjapan.com / Martin Hladik

 

D’ordres divers, les documents rassemblés montrent l’omniprésence d’hommes tatoués à travers le monde depuis l’époque du Chalcolithique (3350 - 3100 av. J.-C.). Le tatouage relevait alors non seulement du marquage pénal et/ou administratif – on inscrivait directement sur la peau l’appartenance de certains hommes à leur propriétaire – mais il pouvait également avoir des vertus thérapeutiques, marquant le siège de la douleur et bloquant ou détournant la circulation de certains fluides. Le spectateur de l’exposition se laissera volontiers impressionner par plusieurs pièces, comme le morceau de peau momifié conservé au Musée de l’Hermitage de Saint-Pétersbourg, emprunté au bras droit d’un chef pazyryk et traversé par un motif de monstre marin. D’abord chronologique, le parcours proposé retrace de manière non exhaustive mais néanmoins suggestive l’histoire du tatouage.

tattoo artoria circus lady« Tatoueurs, tatoués » permet de rattacher un phénomène en pleine expansion à ses racines profondes et mondialement étendues. La perspective choisie par les commissaires nous empêche de voir seulement le tatouage comme une pratique globale et désormais uniformisée mais en offre une image complexe. Parfois paradoxale d’ailleurs, car le tatouage recouvre des réalités hétérogènes : il a pu avoir dans certaines sociétés un rôle capital – voire obligatoire –  d’identification sociale, a accompagné les rites de passage religieux et autres (ceci s’observe toujours dans les tribus urbaines contemporaines), quand d’autres types de communautés l’ont plutôt envisagé comme phénomène borderline réservé aux décriés en tout genre (criminels, marginaux, clandestins, gens de cirque, etc.). L’intérêt intrinsèque du tatouage est précisément de se situer sur le fil, dans une tension entre mode et marginalité. Assez communément partagé, le tatouage semble désormais perdre son caractère exceptionnel. L’expo relève aussi cet aspect, offrant par exemple au spectateur un panaché humoristique des récupérations du phénomène tattoo observées dans le domaine de la haute couture ou de la publicité. Mais par ailleurs, d’un point de vue symbolique, le marquage définitif de l’épiderme constitue encore un geste audacieux et peu banal.

 © The Leu Family's Family Iron 

 

Maud Hagelstein
Juillet 2014

 

 

 

 

crayongris2 Maud Hagelstein est Chargée de recherches F.R.S.-FNRS à l'ULg, dans la faculté de Philosophie et Lettres. Ses principales recherches portent sur les rapports image/culture.

 


 

 

Tatoueurs, tatoués
6 mai - 18 octobre 2014

Musée du Quai Branly
37 Quai Branly, 75007 Paris

http://www.quaibranly.fr/