Fonck meurt premier comme devant

Fonck7Une fois désaltérée par les Thimistériens, la patrouille décide de gravir la chaussée qui relie le hameau de Stockis à la route d’Henri-Chapelle. Fonck est en position de pointe. Il s’éloigne très rapidement de la vue de ses camarades, soit qu’il ait été désigné comme premier éclaireur, soit qu’il éprouve quelque difficulté à maîtriser l’allure de son cheval. Arrivé à hauteur du pont franchissant la ligne de chemin de fer Battice-Hombourg, transformée aujourd’hui en Ravel, il rencontre le directeur du charbonnage de Battice et un mineur venus pour faire sauter le pont. Malgré la destruction imminente de l’ouvrage, Fonck poursuit sa route jusqu’à la ferme Bolsée-Rinchenne. Là-bas, il s’entretient avec le fermier du lieu qui lui signale la présence sur la chaussée d’un « groupe grisâtre » progressant dans leur direction. Il s’agit de cavaliers ennemis accompagnés de chasseurs cyclistes allemands. C’est ici que les témoignages divergent. Selon la version la plus communément admise, Fonck n’aurait pas chargé directement vers ses adversaires mais aurait d’abord mis pied à terre, attaché son cheval à une barrière, pris position avec son fusil et fait feu sur le groupe de cinq ou six cavaliers ennemis qui arrivaient vers lui. Un soldat allemand aurait été tué instantanément tandis que les autres se seraient dispersés.

Selon l’historique du 2e Régiment de Lanciers, « emporté par sa fougue » Fonck décide de poursuivre sa chevauchée sur la route d’Henri-Chapelle. La déroute de l’ennemi n’est que momentanée. Conformément aux exercices tactiques pratiqués dans l’armée allemande, les soldats adverses décident de prendre de flanc ce cavalier belge un peu trop téméraire, en progressant par les prairies. Surgissant d’un repli du terrain sur la gauche de la chaussée Charlemagne (actuelle nationale 3), les chasseurs cyclistes allemands abattent le cheval de Fonck qui constitue une cible facile. Fonck tombe sous son cheval mort mais parvient néanmoins à se dégager. Il tente alors de prendre la fuite en longeant le fossé, traverse la chaussée, sans doute pour escalader l’accotement droit en vue de franchir la haie et échapper ainsi à ses poursuivants. C’est à ce moment qu’il est abattu d’une balle dans la nuque.

MonumentFonckLa fusillade n’est pas passée inaperçue à Thimister. Quelques heures plus tard, le corps du « premier soldat belge mort à la guerre » est relevé par les habitants. La légende s’empare rapidement de la figure du jeune cavalier dont l’épopée illustre parfaitement la devise du 2e Régiment de Lanciers : « Meurs premier comme devant ». Malgré la présence des Allemands dans la région, une cérémonie officielle est organisée à Thimister le 6 août. On enterre Antoine Fonck en grandes pompes dans le cimetière de la commune où il repose toujours aujourd’hui. Sur une couronne de fleurs ornant le cercueil, on peut lire «À mon fiancé» ; un détail assez étrange puisqu’on ne lui connaissait pas de fiancée.

À la fin de la guerre, le mythe de l’intrépide cavalier Fonck se répand dans le pays de Liège et à travers toute la Belgique. Son histoire romancée est présentée à la jeunesse du pays comme un modèle d’abnégation et de courage. La caserne des Écoliers où a séjourné le héros est elle-même rebaptisée caserne cavalier Fonck. Enfin, le 23 août 1923, une statue sculptée par l’artiste Marcel Rau est inaugurée à proximité du lieu-dit de la croix Polinard, à l’endroit où était tombé le jeune héros. L’œuvre représente la posture typique du lancier belge scrutant l’horizon et guettant l’approche de l’ennemi. Une cérémonie continue à avoir lieu chaque année devant le monument. Nul doute qu’en ce centième anniversaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale, la statue du cavalier Fonck sera à nouveau abondamment fleurie.

 
Monument du cavalier Fonck sur la chaussée Charlemagne à Thimister
«Ici est tombé glorieusement le 4 août 1914
le cavalier FONCK A.A. du 2e régiment de Lanciers
Premier soldat de l'armée belge mort à l'ennemi
au cours de la grande guerre 1914-1918»

 

 

Christophe Bêchet
Juin 2014

 

crayongris2Christophe Bêchet, chargé de recherches FRS-FNRS, a consacré sa thèse de doctorat à l’importance stratégique du territoire belge avant la Première Guerre mondiale. Ses principales recherches concernent  l’histoire militaire, la Première Guerre mondiale, ses préliminaires et ses conséquences culturelles dans la société belge.

 

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