David Bisson, René Guénon. Une politique de l’esprit

BissonAppliquer une lecture politique à l’œuvre d’un penseur qui se voulut avant tout spiritualiste : l’entreprise peut paraître hasardeuse, et à terme réductionniste. Il n’empêche que, dans le cas de René Guénon (1886-1951), elle permet de réévaluer l’apport considérable de ce « traditionniste », qui se tint éloigné du Monde et en deçà de l’Histoire pour mieux atteindre à la Connaissance ultime. L’ouvrage que publie David Bisson aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux constitue une étude passionnante, qui ne néglige aucun aspect de son objet : ni son développement suivant un chemin qui manifeste une tortueuse quête de l’unité ; ni les multiples lectures, interprétations, réorientations et dévoiements posthumes auxquels il donna lieu et qui, en en émiettant l’héritage, lui permirent de se continuer sous divers avatars. La vision de Guénon se caractérise avant tout par son monisme, une lecture qui ne peut se situer qu’en faux par rapport à une vision pluraliste du monde. Mais, pour le moderne, le choc ne s’arrête pas là. Fréquenter le vaste corpus des écrits guénoniens, c’est aussi croiser des expressions qui déroutent, comme « Grande Triade » ou « Roi du Monde ». L’univers convoqué ici, tout symbolique et abstrait, organisé autour d’un axe central qu’il s’agit de réapprendre à identifier, participe d’une dimension cachée, accessible seulement après initiation, observance de rites, soumission à une transcendance irrévélée. Quel dépaysement de soi-même doit donc s’infliger le lecteur contemporain, tout pétri de ses certitudes quantifiables et rationnelles, pour aventurer ne fût-ce qu’un cil dans ces textes à la langue limpide – mais au sens progressivement dévoilé !

 

Frédéric Saenen

David BISSON, René Guénon. Une politique de l’esprit, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 527 p
 
 

<   Précédent   I Suivant   >
Retour à la liste des Essais, documents...
Retour aux Lectures pour l'été 2014