20 ans de l'AITU

AITUl450Il y a vingt ans, l'Association Internationale du Théâtre à l'Université (AITU) voyait le jour à Liège, à l'occasion du premier congrès mondial du théâtre à l'université. Depuis cet événement fondateur, l'association internationale a vu son réseau se (dé)faire, se renouveler, s'étendre aux quatre coins du monde, et persiste à soutenir et interroger une pratique théâtrale singulière.

 

Les Congrès de l'AITU

En février 1994 était signée par onze représentants de onze institutions issues de neuf pays différents la Charte de Liège, dans laquelle est stipulée la fondation d'un projet poursuivant un but de promotion et de développement du théâtre universitaire1. Ce texte, qui cristallise des préoccupations concernant le développement d'une réflexion portant sur l'identité du théâtre universitaire que l'on sentait poindre depuis plusieurs années, annonce la naissance imminente de l'AITU qui verra le jour en octobre de la même année, lors du congrès fondateur organisé à Liège par le Théâtre universitaire liégeois. C'est donc un vaste programme qu'embrasse dès l'abord l'association internationale. Aspirant à devenir un forum privilégié pour les formateurs, praticiens, créateurs, chercheurs et théoriciens, l'AITU désire avant tout se poser comme lieu de dialogue, d'échange et de réflexion sur la pratique théâtrale au niveau post-secondaire, aussi bien supérieur qu'universitaire2.

Depuis le congrès fondateur de 1994, et conformément à ses objectifs poursuivis, l'AITU organise régulièrement des congrès mondiaux, sur une base biennale. Abordant des questions fondamentales et propres à une pratique spécifique, ceux-ci s'attellent, par le biais de grands thèmes structurants, à décortiquer, explorer et interroger la nature du théâtre universitaire.

AITU 94

Après neuf congrès3 tenus partout dans le monde, traitant de sujets variés et témoignant tous de cette visée réflexive à laquelle se voue l'association internationale, celui de 2014, intitulé « Le Théâtre Universitaire et la question du répertoire », effectuera son grand retour en terres liégeoises. Pour célébrer les vingt ans de l'AITU, son Comité Exécutif a en effet proposé d'opérer un « retour aux sources », pour reprendre les termes du président fondateur Robert Germay.

Lorsqu'on l'interroge sur le regard qu'il porte sur l'évolution de l'AITU, Robert Germay rappelle que la création de l'association est la conséquence directe de l'internationalisation du théâtre universitaire qui débute dès l'après-guerre (Festival d'Erlangen, de Nancy,...) et se poursuit au cours des années 1980. Par l'éclosion de nombreux nouveaux festivals un peu partout à travers le monde à ce moment de l'histoire, les échanges se sont faits de plus en plus fréquents et de plus en plus divers entre les pratiques de théâtres universitaires. Il en découla assez naturellement le besoin d'institutionnaliser ces collaborations mondiales à travers une organisation qui prendrait en compte cette importante mutation. Le premier pas à franchir était alors de définir une pratique dans ce qu'elle a de distinct du théâtre en général (le TU n'est ni du théâtre amateur pur et dur, ni du théâtre professionnel), en tenant compte de sa spécificité et de son caractère polymorphe. Car le théâtre universitaire apparaît sous différentes formes, selon les pays, les villes, les universités. La question est à la fois géographique et sociologique : ce théâtre dépend des étudiants qui le pratiquent, mais aussi de ceux qui le fréquentent. Pour le président fondateur, l'évolution de vingt années d'AITU a surtout de réjouissant le fait que les échanges se sont poursuivis à la même cadence et avec la même intensité.

aitu1994La recherche théorique a par ailleurs pris une ampleur non négligeable à travers les congrès organisés par l'association. Ceux-ci ont véritablement donné la parole à la recherche, dans une mesure que l'on ne pouvait soupçonner en 1994, et dont les publications témoignent d'une incontestable rigueur. La collection d'actes qui en découle représente autant de témoignages assez rares et remarquables sur la pratique théâtrale en université. Le dixième congrès devrait être une confirmation du travail accompli, mais surtout un nouveau départ dans cette bonne direction, à savoir un enrichissement mutuel entre pratique et réflexion théorique. Si la recherche théâtrale a principalement été du ressort de l'université, le théâtre universitaire est désormais en mesure d'assurer lui-même une part de la réflexion théorique. L'apport de la nouvelle équipe du Comité exécutif est sans nul doute ce renforcement de la recherche théâtrale. Au moment de la création de l'AITU en 1994, il s'agissait surtout de penser en termes de pratiques théâtrales, de méthodologie (comment maintenir en vie des troupes, comment choisir le répertoire, comment faire évoluer le jeu d'acteurs, comment trouver une forme adéquate pour travailler avec des profanes, comment se situer dans l'institution universitaire...). L'évolution et la tenue de ces congrès biennaux ont mis en évidence le fait que le théâtre universitaire est à même de réfléchir de manière scientifique et publiable sur sa propre pratique4.

 

Le 10e Congrès : théâtre universitaire et répertoire

Le congrès qui célèbre les vingt ans de l'association débutera par une rencontre avec l'un des membres du Théâtre du Soleil, une compagnie qui occupe une place particulière dans le paysage théâtral français. Inviter cette troupe pour le vingtième anniversaire de l'association n'est évidemment pas anodin. Pour Alain Chevalier, directeur du TURLg et organisateur du congrès, le Théâtre du Soleil représente une aventure phare qui célèbre elle aussi un anniversaire important cette année – celui de ses cinquante ans – et qui trouve sa source dans une troupe étudiante : l'Association Théâtrale des Étudiants de Paris (ATEP). Accueillir le Théâtre du Soleil comme invité d'honneur à l'occasion du dixième congrès de l'AITU, qui se déroulera simultanément aux annuelles Rencontres Internationales de Théâtre Universitaire (RITU), fait indéniablement sens5.

Du lundi 30 juin au vendredi 4 juillet, conférences plénières, communications scientifiques, études de cas, démonstrations pratiques et ateliers didactiques s'articuleront autour du sujet central que constitue la question du répertoire dans le cadre du théâtre à l'université. Les propositions de la part des congressistes à l'égard de ce thème pour le moins attrayant furent nombreuses et variées. Le sujet a en effet de quoi inspirer. Robert Germay le rappelle justement : le choix du répertoire n'est jamais insignifiant. Les théâtres universitaires ont pu, par leurs propositions originales, parfois au caractère expérimental, influer sur le répertoire du théâtre universel6.

À propos du répertoire7, Robert Germay répète que son choix n'est jamais innocent. Pour lui, le théâtre peut être défini comme un art qui rassemble des hommes pour leur parler de l'Homme et de sa vie en société, et que, dès lors, les thèmes qui traversent les siècles sont invariablement les mêmes : la vie, la mort, l'amour, le pouvoir,... Ce qui a évolué, ce n'est pas le fond, mais la forme. Comment présenter au public ces contenus essentiels ? Le théâtre est un art de la communication, il faut donc sans cesse s'interroger sur la manière de communiquer, de transmettre. Au cours du 20e siècle, le théâtre a connu de profondes transformations, dont la principale est sans doute la désacralisation du texte. Celui-ci devient alors un outil parmi d'autres. Le théâtre est certes un art de la communication, mais également de la création (et même souvent de création collective, en particulier au théâtre universitaire). C'est pourquoi le choix du répertoire doit tenir compte de plusieurs questions fondamentales. Tout d'abord, que veut-on dire de l'homme à l'homme ? De quels sujets va-t-on traiter parmi les fondamentaux ? Et à travers quelles formes ? Il convient aussi de se demander avec qui, avec quels vecteurs, avec quel médiateur ? Cette question implique en réalité – sur le terrain – de chercher la manière la plus appropriée de s'adapter aux moyens dont on dispose : c'est-à-dire tenir compte du caractère particulier de la troupe, de ses moyens humains, techniques et financiers, de l'espace disponible,... bref, tout ce qui fait partie de l'infrastructure d'un spectacle. Il faut chercher la meilleure adéquation de fond et de forme. Ce travail est bien entendu plus compliqué dans les théâtres universitaires que dans les théâtres professionnels qui disposent – normalement – d'instruments adaptés. C'est ici à la fois compliqué et fructueux, car il faut chercher des solutions qui ne sont jamais données pour trouver comment une forme va correspondre au mieux à ce que l'on veut transmettre : « Chercher un répertoire, ce n'est donc pas seulement chercher des auteurs ou des textes – des mots – : c'est aussi et surtout chercher des formes théâtrales8. » La question du public est également décisive : pour qui fait-on du théâtre ? Le choix du répertoire est lui aussi important par rapport au public du théâtre universitaire. Pour le TURLg, par exemple, qui est régulièrement amené à jouer devant un public international qui ne partage pas nécessairement la même langue, celle-ci ne doit plus être le seul véhicule du sens que l'on veut donner au spectacle9.

Qui joue quoi ? Pour qui et pour quoi ? Quels sont les liens qu'entretient le théâtre universitaire avec le répertoire ? Peut-on dégager à ce propos des caractéristiques de la scène universitaire ? Large programme qu'est celui proposé pour ce dixième congrès mondial, auquel contribueront une cinquantaine de chercheurs et autres participants venus du monde entier.

Il y a vingt ans, Robert Germay écrivait ces mots : « Créer l'AITU, c'était créer un carrefour. Il reste à y créer le mouvement10. » L'objectif de circulation et de rayonnement désiré et recherché par les fondateurs de l'association internationale au moment de sa création semble bel et bien atteint, à en croire l'étendue de cette toile qui s'étend sur les cinq continents et qui continue de vibrer, de se renouveler, de se réunir vingt ans après sa naissance pour s'interroger sur la spécificité du théâtre à l'université.

 

Lison Jousten
Juin 2014


 

1 « Charte de Liège », in Robert Germay, Alain Chevalier (sous la dir.) Le Théâtre à l'Université : « Un Théâtre Spécifique ». Actes du Premier Congrès Mondial du Théâtre à l'Université (Liège, 13-15/10/94), Liège, A.I.T.U. –I.U.T.A., 1996, p. 19.

2 Pour plus d'informations concernant l'AITU : http://www.aitu-iuta.org/
3 Depuis 1994, l'AITU a organisé les congrès suivants : « Le Théâtre à l'Université : “Un Théâtre Spécifique” » (Liège, 1994) ; « Etudier le théâtre : recherche/formation/création » (Valleyfield et Québec, 1997) ; « Le Théâtre universitaire et la formation professionnelle à l'aube du troisième millénaire » (Dakar, 1999) ; « Théâtre sans frontières : Itinéraires, assimilation, particularisme » (Cracovie, 2001) ; « Etudier le théâtre : pour quoi ? Enseigner le théâtre : pour quoi ? La responsabilité de l'université en la matière » (Olympie, 2003) ; « Les Acteurs des théâtres universitaires » (Urbino, 2006) ; « Identité et langages au Théâtre Universitaire : paradigmes et paradoxes » (Puebla, 2008) ; « Théâtre et pédagogie » (Leicester, 2010) ; « Tradition. Recherche. Expérimentation : les composantes essentielles du théâtre universitaire contemporain » (Minsk, 2012). cf. Robert Germay, « Une histoire du théâtre universitaire. Du Théâtre Universitaire (TU) à l'Association Internationale du Théâtre à l'Université (AITU) », in Robert Germay, Philippe Poirrier (sous la dir.), Le théâtre universitaire. Pratiques et expériences, Dijon, Editions Universitaires de Dijon, 2013, pp. 13-25.
4 Robert Germay, propos recueillis le 11/06/2014.
5 Pour les lecteurs désireux d'en savoir davantage sur Ariane Mnouchkine et l'aventure du Théâtre du Soleil, consulter notamment : Béatrice Picon-Vallin, Ariane Mnouchkine, Arles, Actes Sud Papiers, 2009.
6 Robert Germay, « L’Association Internationale du Théâtre à l’Université (AITU) fête ses 20 ans en tenant son 10e Congrès mondial à Liège(B), 30 juin – 4 juillet 2014 », in Catarsi – Teatri delle diversità, n° 66/67, juillet 2014, Urbino, Enigma, (à paraître).
7 Sur cette question, lire Robert Germay, « Quand j'entends le mot répertoire... », in FNCD informations, 83/84, Bruxelles, n°2. Le texte est disponible en ligne sur le blog du TURLg : http://turlg.over-blog.fr/article-quand-j-entends-le-mot-repertoire-62530151.html
8Ibid.
9 Robert Germay, propos recueillis le 12/06/2014.
10 Robert Germay, Alain Chevalier (sous la dir.) Le Théâtre à l'Université : « Un Théâtre Spécifique ». Actes du Premier Congrès Mondial du Théâtre à l'Université (Liège, 13-15/10/94), Liège, A.I.T.U. –I.U.T.A., 1996, p. 11.