La troisième partie d'une trilogie sur la famille Bird (voir Le chemin des âmes et Les saisons de la solitude, dont il est question ailleurs dans cette rubrique) ? Pas du tout, même si un des trois narrateurs s'appelle bien 'Bird' en anglais. Dans ce dernier roman en date, nous ne sommes pas parmi les Cris (que le traducteur écrit 'Crees' comme en anglais) mais parmi les Wendats (ceux que les Blancs appellent Hurons) et l'histoire se situe plus de trois siècles plus tôt, au moment où les premiers missionnaires français viennent apporter la parole du Christ dans ces terres païennes à l'ouest du Saint-Laurent. Les deux romans précédents alternaient deux narrateurs ; dans celui-ci, nous entendons trois voix, et chacune nous fait découvrir une perspective différente. Le chef wendat appelé Oiseau est animé par le désespoir d'avoir trouvé femme et enfants massacrés ; que faire sinon tuer ceux qui ont tué l'engrenage inextricable de la violence ? Une jeune Haudeenosaunee (Iroquoise pour les Blancs), Snowfall, que le traducteur appelle Chutes-de-Neige, est la seule survivante d'une famille qu'il a abattue sous ses yeux. C'est à elle qu'appartient une deuxième voix. Un des fils du récit, c'est la façon dont au fil des années sa haine se change en loyauté et en affection. La troisième est celle d'un de ceux que les habitants de cette terre immense appellent Corbeaux, un jeune Jésuite nommé Christophe, capturé lors de l'expédition punitive qui ouvre le roman. S'il n'y a pas de lien entre les personnages des trois romans, il y a pourtant des constantes, dont la violence (entre les nations autochtones, elle est à la fois brutale et ritualisée ; celle des Blancs est plus sournoise ; notons d'ailleurs que les trois missionnaires sont des braves gens qui ne peuvent pas savoir qu'eux aussi sont les agents de la pénétration coloniale) et en quelque sorte le pendant qui permet de la dépasser : l'accès à une autre dimension qui se résume dans le titre anglais orenda, la magie, le pouvoir caché en toute chose.
Ce type de texte participe-t-il à la tendance actuelle à l'indigénisation ? Peut-être. Qu'importe. C'est un roman qu'il faut lire, si possible en anglais, sinon dans la bonne traduction de Michel Lederer.
Christine Pagnoulle
Joseph Boyden, Dans le grand cercle du monde (The Orenda), traduction Michel Lederer, Albin Michel, 2014.< Précédent I Suivant >
Retour à la liste des Romans
Retour aux Lectures pour l'été 2014