On l’admettra volontiers, le titre de ce recueil n’évoque guère la lecture de plage. On ajoutera peut être également qu’en cette phase pré-estivale qui s’avère être aussi une période post-électorale, on en a soupé des discours à la nation de tous poils. On aurait tort. Car Ascanio Celestini, cinéaste et dramaturge italien, nous livre ici des récits brefs qui sont autant de reflets aigres-doux, car à la fois radicalement incisifs et d’une drôlerie déconcertante, de notre monde moderne. Troublants contrepoints des harangues de chefs de parti ou d’entreprise, ces discours se profilent comme des paraboles. Dans un petit pays dont on taira le nom, il y a la guerre, bien sûr, comme partout. Mais il y a surtout une plaie sans nom : la pluie, lancinante, incessante, bref, irritante. Dans ce pays aux habitants cyniques, il y a aussi des pauvres. Ou pire : des gens dépourvus de parapluie. Dans ce pays où la confiance en soi se gagne par la possession d’un revolver, on peut, comme partout, faire face aux grèves des ouvriers, des boulangers, des médecins. Mais on ne peut surmonter l’absentéisme des philosophes. Dans ce pays où des dominants tentent de séduire des dominés, un nouvel élu rappelle à ses « chers concitoyens » qu’il est temps d’admettre leur nature commune de nazis en costard cravate. Dans ce pays aux citoyens déshumanisés, un robinet qui goutte, une réunion de travail, un trajet de bus sont autant d’occasions de réveiller notre mauvaise conscience et de produire une analyse perçante et sans concession des discours portés sur l’immigration, l’homophobie, la misogynie, la misère sociale. Toujours drôles et grotesques, souvent féroces, parfois choquants, ces discours à la nation qui questionnent une société sans cesse en construction sont à consommer sans modération.
En 2013, plusieurs de ces textes ont été magistralement portés à la scène belge par le comédien David Murgia au Théâtre national de Bruxelles, d’après une mise en scène de Celestini lui-même. Cette adaptation a remporté le Prix de la Critique 2012-2013 en Belgique ainsi que le Prix du Public Off d’Avignon.
Jéromine François
Ascanio Celestini, Discours à la nation (et autres récits), traduction de Christophe Mileschi, Paris, Éditions Noir sur Blanc, coll. « Notabilia », 2014, 260 pages.< Précédent I Suivant >
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