Alain Bertrand voit dans notre pays un « confetti déchiré en deux par une ligne ondulée appelée frontière linguistique », il nous avait déjà entretenu des Ardennes ou de la lumière des Polders, son Jardin botanique – résultat d’un compromis à la belge – se partage entre Bruxelles, la Wallonie et la Flandre. Douze nouvelles très équitablement réparties traitent, avec cet humour grinçant qui marque de manière récurrente la fabrique de ses textes, de nos petites habitudes et de nos lieux communs habilement détournés qui transforment nos frites en « un rite pour délacer le corset de l’aube » et les vingt-quatre heures de Spa-Francorchamps en « un grondement d’abeilles en colère ». L’auteur convoque notre mémoire collective quand il mêle à son récit les héros que sont les coureurs cyclistes de l’époque de Merckx, les pilotes automobiles tels les frères Rodriguez ou Bruce Mac Laren, qui dans le sillage de son idole, Jacky Ickx, tournaient sur le plus beau circuit du monde. De nos peintres fameux (Ensor, Magritte ou Spilliaert) à nos écrivains (à commencer par Georges Simenon), c’est toute la belgitude, du nord au sud, qui se retrouvent passée à la moulinette mordante de l’écrivain. Vous vous questionnerez sur les diverses manières de vivre l’amour à la bruxelloise comme on prépare le Waterzooi à la gantoise, et surtout, vous retrouverez le lyrisme d’un auteur connu pour sa maîtrise stylistique.
Rien dans ce livre nous replongeant dans une enfance « à la belge » ne laisse entrevoir la dernière entourloupe de l’auteur. Lui, si délicat, si souriant et fraternel, nous a quitté sans crier gare le dix-sept février dernier. Il laisse tous ses amis a quia. Il dirigeait la collection « Plumes du coq » aux éditions Weyrich, l’éditeur lui rendra prochainement hommage en publiant une suite de courts récits intitulée L’été sous un chapeau de paille. Et le lecteur, devant tant de malice, goûtera à quelque chose qui pourrait être l’ombre du bonheur.
Alain Dantinne
Alain Bertrand, Jardin botanique, Le Castor astral / Escales des lettres, 2014, 144 pages
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