Le titre laisse perplexe, provoque un sentiment de déjà lu, mais le bandeau de l’éditeur éveille quelque peu la curiosité en ajoutant « J’ai voulu tout dire, pour qu’il ne reste que les secrets ». Ouf, nous voici rassuré ! Si nous prenons le temps de lire la quatrième de couverture, le projet prend forme et semble même d’une audace folle : raconter l’impossible ou comment l’enfant – que tous nous fûmes un jour – cherche à déchiffrer ce trouble et mystérieux texte qu’est la sexualité qui semble tellement accaparer les adultes… Auteur jeune, il n’a pas trente ans, Arthur Dreyfus cherche à tamiser ses souvenirs sexuels (et leur insatiable mystère) avant qu’ils ne se banalisent dans un quotidien sans aspérité.
C’est que le sexe est un sujet brûlant pour les écoliers du primaire, et l’auteur se souvient des conversations entre copains. Qu’est-ce qu’on entend par bander ou qu’est-ce que le sperme ? Un jour, il entend des grands qui vont rentrer bientôt au collège discuter de la “chose”, alors il feint de relacer sa chaussure pour rester dans les parages de ces jeunes pré-pubères et de saisir quelques secrets de leur conversation. Ils ne font nullement attention à ce « petit » et apportent sans le vouloir une clé au grand mystère : « C’est comme de la morve… » entend-il et de courir rejoindre fièrement ses complices pour leur révéler l’énormité de sa découverte !
Ce roman relate les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix, – c’était hier – et le voilé qui repose sur les mots du sexe, l’embarras des parents, du père surtout, de dire. L’enfant, qui tient à la vérité avec la logique de l’enfance, laisse voir des adultes, mais qui le sont très peu, engoncés dans les convenances et les discours, esprits ouverts bien sûr, mais pas tant qu’ils ne le pensent eux-mêmes. Le livre esquisse le tableau d’une haute bourgeoisie de province (Lyon), pour laquelle l’auteur semble éprouver des sentiments paradoxaux. C’est également l’éveil précoce à l’homosexualité, voie que l’enfant ressent immédiatement comme « déviante » par rapport à la doxa des adultes, mais qui ne semble nullement le culpabiliser, et c’est là peut-être la différence qui réside avec les jeunes gay de la génération qui le précède. L’auteur met en scène une foule d’amis et de connaissances, des êtres auxquels il donne de délicieux surnoms tels que Jean d’oubli, Matelot, Salopard, Glamour, Bien-Être, Persan, etc. Il ne faudrait pas prendre cet ouvrage pour un essai anthropologique, il s’agit de morceaux de vie racontés avec acuité par un écrivain qui nous rend bien les sensations invisibles de l’enfance, la curiosité avide de l’adolescence, c’est aussi une traversée de l’époque où se mêlent la nouveauté technologique (Internet et les textos) et les préoccupations intellectuelles de l’auteur qui cite Ponge ou Clément Rosset, parle de Matzneff et Guibert etc. Un livre intelligent, au ton juste, sur les petits bonheurs d’une enfance au quotidien.
Alain Dantinne
Arthur Dreyfus, Histoire de ma sexualité, Gallimard, 2014, 364 pages< Précédent I Suivant >
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