La vision, la prose et la rhétorique du candidat démocrate, devenu le 46e Président des États-Unis, ont révélé la double facette d'une construction identitaire, à la fois enracinée dans la culture noire américaine, et brandie comme modèle de la multiculturalité. Mais la « question raciale » demeure au centre de ses préoccupations politiques.
L'éditorial du Monde hors-série de janvier-février 2009 présente « Les années Obama » comme « celles d'une Amérique ‘post-raciale', où le conflit entre Blancs et Noirs tend à s'effacer au profit d'une compétition entre des groupes culturellement différents.»
Des origines multiculturelles
Certes, le candidat Obama se veut incarner une salutaire « diversité » culturelle dont l'héritage racial et culturel unifié forme le socle d'une identité américaine pacifiée. Il glorifie en effet le multiculturalisme serein de sa famille « élargie » (américaine blanche, africaine américaine, kényane, indonésienne, chinoise), et s'érige ainsi en modèle d'intégration inter-raciale, -confessionnelle et -culturelle. Mais son parcours pré-présidentiel, ses deux livres, Dreams from my Father (son autobiographie écrite à 34 ans) et The Audacity of Hope (son programme de sénateur fédéral) ainsi que les lointains et proches échos qui émaillent ses très nombreux discours révèlent une histoire, un style et des récurrences rhétoriques bien ancrés dans la culture noire américaine.

C'est en effet dans la littérature et l'art oratoire africains américains que Barack Obama a puisé quelques-unes des sources d'inspiration rhétoriques et idéologiques qui ont nourri sa vision, sa prose ainsi que sa rhétorique. Les influences et les convergences de style et de fond, c'est-à-dire l'intertextualité de l'œuvre de l'écrivain et orateur Obama, soulignent la double facette de sa construction identitaire à la fois enracinée dans la culture noire américaine et brandie comme modèle multiculturel. Ses discours possèdent le même style musical et anaphorique (répétition persuasive du message sous une forme concentrée) que ceux qui ont fondé la très riche tradition oratoire africaine américaine. Il possède, de plus, le talent oratoire nécessaire pour transporter les foules par une rhétorique participative qui requiert l'engagement total du public dans un style « call and response » typique de la musique et des sermons africains américains. Ses appels quasi messianiques à « transformer la Nation », à changer la mentalité politique du pays rappellent, entre autres, les discours fondateurs du pasteur épiscopalien Alexander Crummell au XIXe siècle1, du sociologue militant W.E.B. DuBois, de l'éducatrice Mary McLoed Bethune2, et bien sûr la verve oratoire de Martin Luther King, Jr.: même sens du rythme, même ton lancinant afin de marteler un appel au changement, même sens poétique du mot comme faiseur de sens politique et mêmes allusions historiques récurrentes aux fondements constitutionnels de la nation américaine.
1 Crummell expose sa philosophie d'assimilation dans son discours historique « The Race Problem in America », veut éliminer la race comme critère d'acception et fait de ce combat le test par lequel la démocratie américaine devra mesurer sa capacité de survie.
2 Dès 1935, elle dirige le bureau des minorités du National Youth Council sous l'administration de Franklin Delano Roosevelt.