Barack Hussein Obama : un président « post-racial » ?

Barack Obama, fils d'un intellectuel kenyan et d'une anthropologue blanche du Kansas, veut ainsi éviter de donner l'image d'une identité instable et sans ancrage américain clairement défini. Il clame en effet que « nul autre pays au monde n'aurait rendu [son] histoire possible »3 et se présente ainsi comme l'incarnation de l'expérience démocratique américaine. Il s'érige donc comme symbole d'une Amérique multiraciale intégrée mais surtout comme modèle du Rêve Américain dans sa conception postmoderne et la célébration de sa nature fragmentée.

Selon la définition européenne, Obama est métis. Selon l'ancienne définition historique américaine aujourd'hui encore hantée par la règle « One Drop, » une goutte de sang suffit, il est noir. Certes, mais il n'est pas issu de la longue histoire de lutte pour la liberté puis l'égalité  que les Africains Américains mènent depuis le XVIIe siècle. Pourtant, ses origines africaines le rangent dans la catégorie raciale officielle « noire » qui ignore les différences nationales et culturelles. En effet, selon les catégories raciales et ethniques imposées par le questionnaire de recensement de population aux USA depuis 2000 (63 combinaisons possibles, de « une seul race » à « 6 appartenances raciales différentes »), il appartient à « 2 races », « White » et « Black or African American » définie comme  « une personne dont les origines remontent à n'importe quel groupe racial noir en Afrique. Les termes tels que ‘Haïtien' ou ‘Nègre' peuvent être utilisés en plus de ‘Noir' ou ‘Africain Américain.' »4 La confusion entre race et ethnicité, origines africaines lointaines et appartenances nationales contemporaines aussi diverses et éloignées que Africaine ou Haïtienne traduit non seulement la volonté d'ignorer les différences fondamentales entre les divers migrants de « race » africaine sub-saharienne et les descendants d'esclaves africains américains ou caribéens, mais aussi la persistance idéologique à ne définir le Noir que d'après la pigmentation de sa peau. Celle-ci reste en effet le paradigme de définition essentiel qui continue à cloisonner les catégories raciales aux USA.

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Investiture de Barack Obama, le 20 janvier 2009 - Capture d'écran TV - © ADS

« I am just who I am, whoever you see in front of you, a Cablinasian » répliquait Tiger Woods à Oprah Winfrey en 1997, allusion à ses origines caucasiennes (blanches), noires, amérindiennes et asiatiques. Le refus de se voir cantonner dans une catégorie raciale s'accompagnait alors d'une volonté d'être perçu comme un individu unique dont la complexe détermination ethnique n'était qu'une composante parmi d'autres de sa personnalité. Tentant de capter les réalités mouvantes des métissages actuels, le marketing commercial suit la tendance qui cherche à valoriser la construction d'une identité ethnique hybride. Ainsi, les T-shirts « I am a Mutli-culti cutie » font fureur, le New York Times annonce la naissance de la « generation E.A. » (Ethnically Ambiguous), et dans la foulée de Betty Crocker Brand Food, le dessin animé et les livres Dora présentent un personnage dont l'apparence mélange les origines ethniques.

Mais cette vague de marketing inter-ethnique ne semble guère correspondre au sens identitaire de l'Amérique. Le rejet de toute compartimentalisation raciale n'est en effet pas partagé par la vaste majorité des Américains dont moins de 2% cochèrent les cases « 2 ou multiples races » lors du dernier recensement de 2005-2007. 12,4% de « Blacks or African Americans Alone » ont ainsi choisi une appartenance uniraciale. Or, avant la révision des catégories raciales et ethniques en 2000, la population africaine américaine en 1999 était recensée comme représentant 13% de la population américaine totale. Nous pouvons considérer qu'environ 0,5% de la population noire américaine se considère comme bi- ou multi-raciale, la très vaste majorité s'identifie donc comme « Blacks or African American alone.» L'identification multiculturelle ne semble tenter qu'une infime partie de la population noire, conditionnée par l'histoire américaine à s'identifier comme « Black » même en étant largement métissée. L'identification mono-raciale et -ethnique reste donc fermement ancrée dans la psyché américaine, et surtout africaine américaine, et cela malgré le discours culturel ambiant.

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Investiture de Barack Obama, le 20 janvier 2009 - Capture d'écran TV - © ADS

Dans une Amérique en lente voie d'intégration multiculturelle, Obama se défie de toute perception de lui comme « post-racial» : « Cependant, quand j'entends les commentateurs interpréter mon discours et dire que nous avons atteint une ‘ politique postraciale', ou que nous vivons déjà dans une société ‘color-blind,' je me dois d'être prudent. Dire que nous sommes un seul peuple ne veut pas dire que la race n'a plus d'importance - que le combat pour l'égalité est gagné, ou que les minorités s'infligent elles-mêmes les problèmes qui les minent [...] Suggérer que nos attitudes raciales ne jouent aucun rôle dans les disparités [sociales et économiques], c'est ignorer notre histoire et notre expérience - et nous débarrasser de la responsabilité de redresser la situation »5. Il répète dans son discours « A More Perfect Union » que « notre nation ne peut se permettre d'ignorer la question raciale [...] Nous devons nous rappeler que, si tant de disparités existent dans la communauté afro-américaine d'aujourd'hui, c'est qu'elles proviennent en droite ligne d'inégalités transmises par une génération antérieure, qui a elle-même souffert de l'héritage brutal de l'esclavage et de Jim Crow [lois ségrégationnistes du Sud abolies en 1965] »6.  Il ajoute même lors d'une interview au magazine Newsweek : « je rejette le terme ‘post-racial' parce qu'il implique que ma campagne représente un raccourci commode vers la réconciliation raciale [...] résoudre les problèmes raciaux dans ce pays nécessitera des mesures concrètes, un investissement significatif [...] ces problèmes ne seront pas résolus par le seul fait d'élire un président noir.»7  Loin d'invoquer un multiculturalisme de bon aloi comme seul socle identitaire américain, Obama resitue donc la « question raciale » dans une continuité historique et socio-économique, et la pose au centre même de ses préoccupations politiques.

                                                                                                                     Valérie Bada
Mars 2009

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Valérie Bada est maître de conférences au Centre d'Études de l'Ethnicité et des Migrations (CEDEM) à l'ULg, et maître assistante à la Haute École Léon-Éli Troclet de Liège.


 

3 « A More Perfect Union », discours prononcé à Philadelphie le 18 avril 2008.
4 Voir "Provisional Guidance on the Implementation of the 1997 Standards for Federal Data on Race and Ethnicity," p.7, sur le site internet du United States Census Bureau.
5 The Audacity of Hope, pp. 232-233
6 Traduction François Clémenceau, Paris: Grasset, 2008
7 Nouvel Observateur, 24-30 juillet 2008, p. 12
Ce texte a initialement été publié dans la rubrique « Opinion » du quotidien « La Libre », le 20 janvier 2009.

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