Sous la direction de Jacqueline Aubenas, un bel ouvrage collectif sur les films des frères Dardenne est récemment paru. On y découvre le cheminement familial, professionnel et créatif de Luc et Jean-Pierre Dardenne, analysé notamment par plusieurs enseignants et chercheurs de l'ULg.

À voir et à penser

Il est superbe, le livre sur les frères Dardenne qui vient de paraître sous la direction de Jacqueline Aubenas : grand format, beau papier, mise en page élégante, iconographie impeccable.  Mais il n'est pas seulement beau, il est aussi très intelligemment conçu.

Les  documents photographiques qui émaillent chaque page retracent déjà à eux seuls  un parcours de vie. C'est comme un album de famille. On y voit Luc et Jean-Pierre enfants, à côté de leurs parents et de leurs soeurs. On les retrouve  jeunes adultes pendant le tournage de leurs premières vidéos, au début des années 1970.  On découvre leurs amis, les équipes de tournage. On voit tout le monde prendre peu à peu de l'âge et, à l'occasion, le smoking remplacer le blouson quand il faut quitter les quais de la Meuse pour le festival de Cannes.  Parallèlement, des photographies de plateau, dues essentiellement à Christine Plenus, et des images extraites des films composent comme une anthologie de l'œuvre.

Cette perspective historique se retrouve aussi dans  le texte.  Les films sont en effet évoqués dans l'ordre chronologique et les questions qu'ils soulèvent sont mises en relation avec le contexte de l'époque.

C'est par la vidéo documentaire que les Dardenne se font d'abord connaître, avec, dans un premier temps, des travaux qui relèvent davantage de l'animation socio-culturelle que de l'élaboration artistique. Années d'apprentissage, du langage comme des enjeux du documentaire. Les interrogations sont d'emblée politiques. Les frères s'intéressent à la  Résistance, à l'histoire du mouvement ouvrier  à un moment où sa mémoire se perd.

Bientôt, les cinéastes se sentent à l'étroit dans le documentaire. Rien de tel que l'imaginaire pour laisser au réel la possibilité de se déployer complètement. Le passage à la fiction se fait par le détour du théâtre, avec l'adaptation d'une pièce de René Kalisky, Falsch. Puis vient Je pense à vous,  leur premier long métrage sur un scénario personnel : hélas,  un échec cuisant, dont ils ont failli ne pas se remettre.  La manière dont le livre aborde cet épisode en dit long sur l'esprit de l'entreprise : il ne s'agit pas de dresser le panégyrique de créateurs désormais entrés dans l'histoire du cinéma, mais de comprendre au plus près leur démarche, jusque dans ses erreurs.  Enfin, passée cette épreuve commencera  l'époque des grands films couverts de lauriers, inaugurée en 1996 par La Promesse et qui a vu, en 2008, Le silence de Lorna recevoir à Cannes le prix du scénario.

Chaque œuvre fait l'objet d'une présentation détaillée et de diverses analyses dues  à Jacqueline Aubenas ou à d'autres spécialistes, comme Carole Desbarrats, directrice d'études à la Femis, ou Nathalie Flamant, jeune licenciée en cinéma de l'Université de Liège, trop tôt disparue. D'autres contributions proposent une approche transversale : sur  l'écriture, la mise en scène, la direction d'acteur,  la construction du personnage, le décor, la bande son..., tout ce qui concourt à la réalisation d'un film. D'autres encore interrogent la signification globale de l'œuvre. On épinglera  de pénétrants essais de Jacques Dubois, Marc-Emmanuel Mélon ou Robert Legros. Enfin, le second métier des frères Dardenne n'est pas oublié : plusieurs articles s'intéressent à leur travail de producteurs.

De nombreux témoignages  complètent  ce remarquable  ensemble critique : collaborateurs artistiques et techniques,  compagnons  de route (comme Henry Ingberg à qui l'ouvrage est dédié), mais aussi écrivains (Jean-Marie Piemme, Caroline Lamarche, Jean Louvet...)

Cette somme est d'ores et déjà un ouvrage de référence. Cerise sur le gâteau,  les éditeurs nous proposent en sus un DVD, avec un documentaire de Jean-Pierre Limosin issu de la série « Cinéma de notre temps ». Dans le paysage industriel qui sert de décor à tous leurs films, on y voit Luc et Jean-Pierre Dardenne s'expliquer de manière précise et parfois technique sur divers aspects de leur travail. Des extraits de films illustrent leurs propos. De quoi nous donner l'envie de tout revoir.

Carmelo Virone
Mars 2009

Carmelo Virone est écrivain et critique