Jean Echenoz : « Zatopek, le croisement d'un parcours d'athlète et de sujet politique »

Dans un entretien, à l'occasion de la parution de Courir, son dernier roman (Minuit, 2008), l'écrivain Jean Echenoz précise sa conception de l'écriture romanesque aujourd'hui. Une forme de récit qu'il avait déjà expérimentée avec Ravel (Minuit, 2006), comme il le rappelle dans un autre entretien antérieur.

Echenoz

Depuis son premier roman, Le Méridien de Greenwich, paru en 1979 chez Minuit, Jean Echenoz a publié onze livres, tous chez le même éditeur, qui ont fait de lui l'un des grands écrivains français de notre époque. Une écriture empreinte d'ironie douce, où interviennent différents niveaux de langue, des histoires banales qui deviennent singulières, et dont les personnages se tirent tant bien que mal, ont imposé sa musique personnelle, sans qu'on ne doive, non plus, parler de « marque de fabrique » : chacun des livres de l'auteur de L'Équipée malaise s'efforce d'aborder des rivages différents, ou en tout cas qui le deviennent sous sa plume. Cherokee (pris Médicis en 1983 »), Lac (qui reparaît enpoche), Les Grandes blondes en 1995, Je m'en vais, rattrapé par un prix Goncourt en 1999, jalonnent le parcours tout en rythmes de cet écrivain plutôt discret. 

Avec un portrait aussi pertinent que savoureux du patron des Éditions de Minuit, Jérôme Lindon (2001), Echenoz avait déjà amorcé un rapprochement entre le récit romanesque et la biographie. En 2006, il franchissait un pas supplémentaire avec Ravel, un magnifique roman sur le compositeur français (1875-1937). Il y faisait ressentir les failles les plus mystérieuses du personnage Ravel, qui confèrent à son œuvre musicale une profonde et émouvante résonance humaine.

Dans Courir, Jean Echenoz, à l'automne 2008, a suivi les traces d'un autre personnage réel, le champion de course à pied Emil Zatopek (1922-2000). Cet athlète tchécoslovaque, surnommé« la locomotive tchèque », est l'une des figures mythiques du sport au XXe siècle, « l'homme qui a couru le plus vite sur la Terre » : record du 10 000 mètres en 1950, double record de l'heure et des 20 km en 1951, triple médaille d'or aux Jeux Olympiques d'Helsinki en 1952 pour les épreuves de marathon, de 10 000 mètres et de 5000 mètres, sur un palmarès de 38 records mondiaux. Officier dans l'armée tchécoslovaque en pleine Guerre froide,promu au fil de ses victoires jusqu'à devenir colonel, Zatopek fut également instrumentalisé par le régime. En 1968, il prit position en faveur du « Printemps de Prague », et fut limogé après l'échec d'Alexander Dubcek, avant d'être complètement « normalisé », lui aussi : on l'employa comme éboueur à Prague, avant de le muter pendant plusieurs années dans une mine d'uranium, où la « locomotive tchèque » poussait des wagonnets... Réhabilité dans les années 80, Zatopek est décédé en 2000.

Cet itinéraire a intéressé Jean Echenoz, qui, à l'instar de Marcel Schwob dans les Vies imaginaires, ou de John Aubrey, a voulu écrire «  la vie réelle d'un homme, envisagée et traitée comme celle d'un personnage de fiction ».Cela a donné Courir, roman qu'on lit certes d'une traite pour suivre Zatopek, mais qui nous replonge subtilement dans les années, grises ou noires, de la Guerre froide et des Procès de Prague. Une manière d'aborder également des questions historiques et idéologiques dans un projet d'écriture, sur lequel Jean Echenoz s'explique dans l'entretien qui suit. Nous l'avons complété par un entretien sur Ravel que l'écrivain nous avait accordé lors de la parution en 2006.




Photo Jean Allard/Minuit/PG


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