« Une bonne adaptation doit enrichir l'œuvre littéraire »

Au sein d'une production passionnante par sa diversité, sa créativité et, bien sûr, sa qualité, les éditions Futuropolis accordent une place importante à l'inspiration littéraire sous forme d'adaptations ou d'illustrations de romans. Précisions avec son directeur, Sébastien Gnaedig.

bd futuroCréées en 1974 par Etienne Robial et Florence Cestac, les éditions Futuropolis ont été remises sur pied en 2005 par Gallimard et Soleil sous la direction de Sébastien Gnaedig, venu de Dupuis, après un passage par Les Humanoïdes Associés et Delcourt. La maison possède des antécédents littéraires puisque, d'une part, son association avec Gallimard en 1987 a donné lieu à «Bibliothèque», une collection de romans illustrés par Tardi (Céline), Hyman (Dos Passos, Conrad, Djian), Götting, (Kafka, Dostoïevski), Baudoin (Ben Jelloun, Le Clézio, Genet, Pasolini), Juillard (Faulkner), Cestac (Pergaud), Veyron (Sollers) ou Loustal (Mac Orlan) ; et que, d'autre part, Didier Platteau a tenté de relancer  l'enseigne Futuropolis à la fin des années 1990 avec deux albums réunissant un écrivain et un illustrateur, La Boîte noire de Benacquista et Ferrandez et La Débauche de Tardi et Pennac.

Le nouveau Futuropolis suit cette filiation de différentes manières. En enrichissant son catalogue, qui compte aujourd'hui plus de cent titres, d'adaptations de Djian, Loti, Izzo, Benacquista, Brautigan, ainsi que Manchette, avec la reprise du Petit Bleu de la côte Ouest relu par Tardi en 2005 pour Les Humanoïdes Associés. En publiant des albums inspirés d'écrivains (Rimbaud, pour Lignes de fuite) ou en réactualisant des héros romanesques (Don Quichotte devenu Mancha, chevalier errant). Et, enfin, en rééditant des romans illustrés, notamment ceux de Céline par Tardi.

Comment situez-vous les adaptations dans votre programme éditorial?

Sébastien Gnaedig: elles ne forment pas une collection en soi, leur nombre de pages et leur format sont variables. Ce sont d'abord des œuvres personnelles, qu'elles soient basées sur un roman ou non ne change rien. Une adaptation est réussie quand l'auteur a réussi à l'intégrer dans son propre univers.

Pourquoi cet intérêt chez vous?

Il y a d'emblée la possibilité pour les auteurs de puiser dans le fonds Gallimard, même s'ils peuvent aussi aller chercher ailleurs. Mais si j'ouvre la porte, je ne sollicite rien. La seule chose qui m'importe est: pourquoi faire cela, quel est l'intérêt? Pour moi, une adaptation ne peut pas être une commande, elle doit résulter de l'envie d'un auteur de s'approprier un livre dont il se sent en affinité par la thématique ou l'univers. Par exemple, il est logique que Clément Belin fasse ses débuts dans la BD avec Les Marins perdus de Jean-Claude Izzo, car il est lui-même mécanicien de la marine marchande et a connu la situation vécue par les personnages du roman. D'un autre côté, il n'est pas étonnant que Jean-Philippe Peyraud ait été attiré par Mise en bouche de Philippe Djian, chapitre supprimé du roman Frictions où il prenait trop de place, et publié dans les Inrockuptibles, car son univers est très proche de celui de cet écrivain. Djian lui a d'ailleurs proposé de retoucher les dialogues tout en lui laissant une totale liberté. Et il a trouvé le résultat final presque meilleur que son texte, car la bande dessinée, par ses silences et son rythme, apporte une dimension qu'il n'avait pas.

bd futuroQu'est-ce qu'une bonne adaptation?

Elle ne doit pas être une simple transposition. Une adaptation doit enrichir l'œuvre en portant sur elle un autre regard. L'auteur doit se l'approprier pour mettre en lumière ce qui l'y a marqué. N'oublions pas que Tardi a enlevé tout un pan des Burma de Léo Malet pour ne garder que ce qui l'intéresse. Ce qui me plait, par exemple dans le travail de Franck Bourgeon sur Aziyadé de Pierre Loti, c'est le jeu entre l'image et le texte qui donne à voir le roman autrement, sans l'édulcorer ni l'affadir. Bourgeon s'appuie sur le roman pour faire passer ses propres préoccupations. De même quand Nicolas Dumontheuil adapte très librement, sous le titre Big Foot,  Le monstre des Hawkline de Richard Brautigan, je peux mesurer à quel point ce roman est proche des autres livres du dessinateur.

A qui s'adressent ces livres?

A un public adulte qui connaît le roman et a envie de découvrir cette version, comme il pourrait aller voir son adaptation au cinéma .Ou encore, à quelqu'un qui est familier de l'œuvre du dessinateur, dont il espère retrouver l'univers dans l'album. Chez Futuropolis, d'une manière générale, nous essayons de toucher des gens qui ne lisent pas que de la bande dessinée, mais qui lisent aussi des romans, qui vont au cinéma, dans les musées, etc. Ces adaptations littéraires en BD participent à cela, en créant une passerelle entre les différents arts.

 

Propos recueillis par Michel Paquot
Mars 2009

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Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires.