Rivages/Casterman/Noir :  un mariage réussi entre polar et bande dessinée
BD rivages

Les éditions Rivages Noir, bien connues pour leurs polars, se sont associées avec le prestigieux éditeur BD pour des albums où grands noms du roman noir et qualité de l'adaptation sont de mise. Explications de François Guérif, codirecteur de cette nouvelle collection avec le scénariste Matz.

Si des romans policiers sont de temps à autre adaptés en bande dessinée en France ou aux Etats-Unis - citons Dashiell Hammett hier, et aujourd'hui James Ellroy, Jérôme Charyn, Didier Daeninckx, Marc Vilar, Jean-Patrick Manchette ou Tonino Benacquista, qui signent même parfois des scénarios originaux  - les collections spécifiquement polars sont rares. Les transpositions depuis 2000 des enquêtes du Poulpe aux éditions 6 pieds sous terre (19 titres parus) font à ce titre figure d'exception. C'est dire l'importance de la collection Rivages/Casterman/Noir lancée par François Guérif, fondateur de Rivages Noir en 1986, et Matz, scénariste de séries BD à succès, comme Le Tueur ou Du Plomb dans la tête. Cinq titres d'excellente facture ont simultanément vu le jour en mai 2008: Shutter Island de Dennis Lehane dessiné par Christian De Metter, Nuit de Fureur de Jim Thompson, adapté par Matz et Miles Hyman, Pierre qui roule de Donald Westlake mis en images par Lax, le célèbre Sur les quais de Budd Schulberg, déjà adapté au cinéma par Elia Kazan, transposé par Rodolphe et Georges van Linthout, et enfin Pauvres zhéros de Pierre Pelot, seul romancier français du lot, confié au dessinateur Baru. En avril de cette année paraîtra l'adaptation de Trouille de Marc Behm, par Jean-Hughes Oppel et le Liégeois Joe Pinelli. Suivra ensuite Coronado de Dennis Lehane, par Loustal.

 

Comment est née cette collection?

François Guérif: De ma rencontre avec Matz et de notre envie commune de voir des livres de Rivages Noir adaptés en bande dessinée. Cette collection est un mariage avec Casterman. Nous avons choisi une dizaine de romans pouvant faire de bons albums et nous les avons proposés à des auteurs BD riches d'un univers propre. Et maintenant que la collection existe, certains viennent eux-mêmes nous démarcher - nous proposant même des romans qui ne sont pas dans Rivages Noir, ce qui n'est évidemment pas possible.

Tout polar peut être adapté en BD, selon vous?

Oui, pour autant que l'angle soit bon. L'histoire n'est pas primordiale. Une adaptation est intéressante à partir du moment où il y a recréation, apport. C'est une rencontre entre deux univers, une interprétation qui n'en empêche pas d'autres et peut-être enrichissante. Et il n'y a jamais appauvrissement de l'œuvre qui reste intacte. C'est pareil au cinéma. Quand Hawks revisite Le Grand Sommeil, Chandler dit que Bogart est trop vieux pour le rôle et que le personnage féminin joué par Lauren Bacall n'existe pratiquement pas dans le livre. Et en même temps, c'est un grand cinéaste qui apporte sa propre marque. On ne peut pas donc pas parler de trahison.

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Comment avez-vous choisi les cinq premiers titres?

Je voulais absolument des auteurs représentatifs de Rivages Noir, et notamment Jim Thompson dont Nuit de fureur est le premier numéro. Je pense que les cinq romans choisis sont assez révélateurs de notre diversité. Et on y retrouve différents cas de figure: auteurs américains et français, pagination variable, couleur et noir et blanc. C'est une façon de dire au lecteur que cette collection n'est pas enfermée dans des codes rigides.

Les dessinateurs et adaptateurs BD ont-ils un cahier des charges?

On discute d'abord avec eux, puis ils nous donnent un synopsis et nous montrent les premières planches afin que nous puissions voir dans quel sens ils vont. Il faut en effet que nous soyons tous d'accord sur l'orientation de l'album. A partir de là, ils ont une totale liberté, leur seule contrainte étant liée à la pagination.

Comment travaillez-vous avec les écrivains vivants?

On doit évidemment demander leur accord, de même qu'aux ayants-droits si l'auteur est mort. On l'obtient en général, vu le sérieux du travail éditorial chez Rivages Noir et la reconnaissance internationale de Casterman grâce à Tintin. Donald Westlake n'était a priori pas favorable à une telle adaptation. Il a accepté parce que nous sommes amis et qu'il avait confiance. Quand il a vu les premières planches, il a été surpris car il ne voyait pas du tout comme cela son héros, John Dortmunder. Mais, en même temps, la démarche, la qualité du dessin et de l'adaptation l'ont séduit.

A qui vous adressez-vous?

La question du lectorat n'est pas celle qui m'a motivé. Je pense m'adresser aussi bien aux lecteurs de polar qu'à ceux de BD. Ces adaptations peuvent, je crois, amener des gens qui ne lisent pas de romans noirs à y venir. D'une manière générale, je ne sais d'ailleurs pas qui sont les lecteurs de Rivages Noir.

 

Propos recueillis par Michel Paquot
Mars 2009

 

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Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires.