Quand la bande dessinée puise dans la littérature

bdEst-ce le reflet d'une pénurie de bons scénaristes, le constat d'un épuisement de l'inspiration dans un art, le 9e, quasi totalement balisé ou, plus simplement, la volonté d'offrir une autre vie à des classiques littéraires ? Si, de manière sporadique, la bande dessinée s'est toujours intéressée à la littérature, le phénomène a acquis une nouvelle ampleur ces dernières années.

Contrairement au cinéma qui, dès ses premières années et tout au long de son histoire, ne s'est jamais privé de pêcher dans le roman matière à scénarios, la bande dessinée a toujours regardé avec une certaine méfiance la littérature. Aux États-Unis, dans l'entre-deux guerres, il y a bien quelques adaptations de romans populaires, comme Tarzan par exemple. En France, dès la fin des années 1930, René Giffey, complètement oublié aujourd'hui, transpose des grands textes du patrimoine français : Les Trois Mousquetaires, Le Comte de Monte-Cristo, Les Misérables Quatre-Vingt-Treize, Capitaine Fracasse, Colomba, mais aussi le Don Quichotte de Cervantes. En Belgique, Jacques Laudy, qui participe activement au lancement du journal Tintin en 1946, se tourne vers Walter Scott, avec Rob Roy, et Stevenson (David Balfour). Dans les années 1960, l'Italien Dino Battaglia trouve son inspiration singulière dans Till Ulenspiegel, Moby Dick, Ivanhoé, les contes de Maupassant ou les œuvres de Rabelais. Mais ce ne sont que des exceptions dans un art voué au culte du héros récurrent.

Et vint Tardi

Celui qui va donner véritablement ses lettres de noblesse à cet exercice toujours périlleux de transformation de mots en images est Jacques Tardi. Avec ses adaptations réussies des enquêtes parisiennes de Nestor Burma à partir du début des années 1980, bien sûr, mais aussi par son travail sur les livres de Géo-Charles Veran (Jeux pour mourir), Didier Daeninckx (La Der des ders), Jean Vautrin (Le Cri du peuple) et, plus récemment, Jean-Patrick Manchette (Le Petit bleu de la côte ouest) et Pierre Siniac (Le Secret de l'Etrangleur), il a construit une œuvre éminemment personnelle.

Quelques auteurs BD, au sein d'une œuvre vaste et variée, font étape sur le terrain littéraire, tels Hugo Pratt avec L'Île au trésor d'après Stevenson (1980), Golo avec Mendiants et orgueilleux d'Albert Cossery (1991) ou Jacques Ferrandez avec, d'une part, les deux volets de L'Eau des collines d'après Marcel Pagnol (1997), d'autre part, une nouvelle de Tonino Benacquista, La Boîte noire (2000). Ou encore Pascal Rabaté et sa splendide adaptation d'Ibicus, d'Alexis Tolstoï (1998-2001). A la fin des années 1990, Stéphane Heuet s'attaque à un monstre littéraire réputé intouchable en entamant avec respect et humilité l'adaptation d'A la recherche du temps perdu dont vient de paraître le cinquième tome, consacré à la deuxième partie d'Un amour de Swann.

Au cours de la même décennie, les éditions Claude Lefrancq (aujourd'hui disparues) se lancent, avec un succès assez mitigé, dans la transposition en cases BD de classiques de la littérature d'aventure (Bob Morane) ou policière (Maigret, Rouletabille, Sherlock Holmes, Arsène Lupin, Agatha Christie).

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