En septembre dernier, les archives des Éperonniers ont rejoint celle d'Actes Sud au Centre d'études du livre contemporain (CELIC) de l'Université de Liège. Leur consultation est prévue pour octobre 2010. La fondatrice de cette maison d'édition de littérature belge, Lysiane D'Hayère, est décédée le 28 février 2009, à l'âge de 83 ans.

C'est dans les années 1980 que Lysiane D'Haeyere fonde Les Éperonniers, prenant ainsi le relais des Editions Jacques Antoine créées en 1968 par son ex-mari dans une petite rue du centre de Bruxelles, proche de la Grand Place, qui porte ce nom. En 1987, elle reprend sa collection phare, « Passé Présent », dont les auteurs, d'André Baillon à Georges Eekhoud, en passant par Marie Gevers, Charles Plisnier, Emile Verhaeren, Georges Rodenbach, Camille Lemonier ou Charles Bertin, dessinent une passionnante image de la littérature classique belge des XIXe et XXe siècles. En revanche, elle remplace sa collection contemporaine « Ecrits du Nord » par « Maintenant ou Jamais » qui manifeste une égale ambition de donner à lire la création belge actuelle. Paul Emond, Jean-Claude Bologne, Nicole Malinconi, François Emmanuel, André Beem, Chantal Myttenaere, André Sempoux ou Gaston Compère vont ainsi voir leurs œuvres paraitre, dès 1989, sous des couvertures qui connaîtront deux styles très différents. Ce catalogue est complété par une troisième collection, « Feux », consacrée à la poésie et dirigée par Liliane Wouters. Elle accueillera notamment Serge Delaive, Denys-Louis Colaux, Werner Lambersy, Karel Logist ou Eric Brogniet.

 

     

C'est donc de cette prodigieuse manne littéraire, successivement achetée par Labor puis par Luc Pire, qu'hérite l'Université de Liège. Mais pas seulement. Le fonds comprend également une riche correspondance avec les auteurs ou les institutions, les contrats, la comptabilité, des catalogues, des prospectus publicitaires ou encore la mémoire du site web. « Le plus important de toute façon, pour le CELIC, explique Pascal Durand, son directeur, ce n'est pas tant l'ensemble des livres, qui peuvent être trouvés en bibliothèque, que les archives professionnelles de la maison, qui risquaient de disparaître et témoignent des pratiques, des stratégies, des difficultés et des ressources rencontrées, dans le développement de son catalogue autant que dans le suivi de sa ligne éditoriale, par une maison littéraire de grande ambition.»

« A la taille de notre pays, nous voudrions être le pendant belge de l'IMEC (Institut Mémoires de l'Edition Contemporaine) français en archivant des fonds qui ne sont pas seulement composés de livres mais aussi de toutes les traces de la vie éditoriale, renchérit Tanguy Habrand, assistant doctorant au département de communication de l'Ulg où il travaille sur l'édition en général auprès de Pascal Durand. Cela participe à notre volonté de développer des études autour des métiers du livre. Nous voulons attirer l'attention sur le fait que ce type de legs peut se faire. C'est valorisant pour les éditeurs de constater que leur travail peut être ainsi reconnu. D'autre part, ce fonds est un bon point de départ pour étudier la littérature patrimoniale belge. On va pouvoir voir comment s'est complétée cette collection, mais aussi Espace Nord chez Labor, qui répondent à une volonté politique de créer une littérature francophone belge, l'une et l'autre étant subventionnée.»

 

 

Depuis lors, un troisième éditeur, André de Rache, Bruxellois spécialisé dans la poésie aujourd'hui disparu, a confié au CELIC ses archives composées exclusivement de livres. « Les archives d'éditeur sont plus difficiles à se procurer que celles d'écrivains, poursuit Tanguy Habrand, car les éditeurs ne conservent pas toujours tout. Par exemple, nous n'avons que trois petites boîtes avec des archives Marabout. »

Actuellement stocké au CELIC, le fonds des Éperonniers sera archivé l'an prochain par des étudiants documentalistes. Il sera alors mis à la disposition des chercheurs, comme c'est le cas pour Actes Sud, légué il y a trois ans par Hubert Nyssen. Entretemps, au printemps prochain, sera organisée une journée d'études consacrée à cet éditeur en présence d'un certain nombre de ses auteurs.

Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires.