Il n'est pas toujours aisé de relever la cohérence dans l'œuvre de Gérald Dederen (Verviers, 1957). Elle est pourtant très grande. De prime abord, la coexistence des sculptures sur bois et du travail que l'artiste développe depuis 2005 avec des épingles soudées à l'étain déconcerte. Ainsi, la pièce (sans titre, iroko, 1997) installée par le Musée en Plein Air dans le domaine universitaire du Sart Tilman, a une présence et une solidité qui semblent contredire point par point les caractères des sculptures d'épingles. Pourtant, il s'agit bien de recherches sur les mêmes sujets : le rythme, la vibration, la résonance. L'opposition entre la soudure qui ajoute et la taille qui enlève se résout dans une communion d'attitude : la répétition systématique, voire obsessionnelle, d'un geste simple et précis. On y retrouve encore une même attention à transmettre l'essence des matériaux. Balisant le parcours du visiteur le long du chemin du Blanc Gravier, la grande pièce de bois du Sart Tilman témoigne de la volonté de Dederen d'exprimer « la fluidité, la souplesse, la croissance, la mobilité constante de l'arbre, le passage, la continuité indéfinie ; je matérialise ce mouvement en laissant apparaître le processus de travail [...] ». |
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Gérald Dederen, sans titre, iroko, Musée en Plein Air du Sart-Tilman, 1997. Photo : J. Housen/DR |
Gérald Dederen, sans titre, étain, 2008. Photo : J. Lecouturier/DR |
Aussi étonnant que cela puisse paraître au premier regard, deux sculptures exposées récemment à la Galerie Jacques Cérami (Charleroi), participent du même esprit. Faisant évoluer ses « travaux d'épingles », Dederen n'en retient plus que les soudures. Il monte de grandes structures filiformes en posant avec une obsession hallucinante des gouttes d'étain les unes sur les autres. Leur extrême fragilité a quelque chose de spectaculaire ; elles ne font qu'effleurer le sol et ne doivent leur stabilité qu'aux fils qui les suspendent au plafond. Le regardeur pourra éprouver une tension face à l'interdiction de toucher tant la sensualité dans le traitement du matériau est forte. Comme dans ses autres travaux, Dederen cherche, selon ses propres mots, « à s'approcher du matériau, à relever la sensualité de l'étain, à en exprimer l'essence ; c'est la plasticité de la goutte de soudure qui guide la forme de la sculpture ». Autre thème de prédilection que l'on retrouve : l'occupation de l'espace à l'échelle humaine, ici très manifeste dans les proportions et l'élévation des pièces. Au-delà, l'artiste déclare poursuivre dans la construction des rhizomes de fils d'étain « ses recherches sur les jeux de pleins et de vides, comme dans mes installations de sculptures sur bois où l'espace entre les pièces a autant d'importance que les pièces elles-mêmes ». A côté de ses sculptures, Dederen présente une série de dessins où il développe les mêmes rapports aux matériaux tant dans sa façon de laisser visibles les traces de la mine de plomb que dans le traitement des supports. « En fait, l'instrument dessine sa propre trace. Je le fais avancer en utilisant toutes ses faces et toutes ses possibilités d'empreinte sur le papier. Je cherche aussi à exploiter les possibilités des différents papiers. Sur les supports les plus fins, je mets à profit la transparence pour laisser voir le dessin au dos de la feuille. Certains papiers se compriment sous la pression de la mine ; je relève les traces en creux. Pour moi, le support est un espace avec une matière spécifique ». On retiendra la discrétion de ces pièces, leur sensibilité, leur frissonnement. Ici, comme dans toute son oeuvre, Dederen travaille sur des qualités purement plastiques : pas de symbolisme, pas de provocation stratégique, pas de prise de position politique, pas de concept sociologique ou de théorie de la communication. On se rattache à ce que l'abstraction lyrique a de meilleur : la manifestation de ce qui ne peut être exprimé que par les moyens de l'art. On y reconnaîtra encore une volonté de poursuivre, au travers de pratiques traditionnelles, l'exploration de territoires artistiques expérimentaux. Sans posture critique outrancière, Dederen participe à invalider les caprices de l'éphémère goût du jour et les griefs de ceux qui vivent très bien la mort de la sculpture. |
Gérald Dederen, sans titre, épingles soudées à l'étain, 2005. Photo : J. Lecouturier/DR |
Pierre Henrion
Mars 2009
Pierre Henrion est historien de l'art, il enseigne à l'E.S.A-Académie des Beaux-Arts de Liège, et est l'un des trois conservateurs du Musée en Plein Air du Sart Tilman.
Gérald Dederen, sans titre, étain, 2008. Détail. Photo : J. Lecouturier/DR