Super héros aux super potentiels cinématographiques

Des films en phase avec leurs temps

Batman Returns par Tim BurtonEn 1989, Tim Burton va contribuer à l’instauration d’une esthétique du film de super héros avec ses deux adaptations de Batman : dorénavant, les univers dépeints dans ces films n’auront plus rien de réaliste, au contraire ils devront symboliser des mondes qui ne ressemblent pas au nôtre afin de permettre au spectateur de s’évader. Bien sûr, Tim Burton fait un peu bande à part avec son style néo-gothique, mais des films comme Les Tortues Ninjas et surtout Darkman n’ont rien de honteux. De manière plus audacieuse, Hollywood commence à s’écarter du répertoire classique et propose, avec Spawn ou Blade, des films bien plus violents et sombres que les autres films du genre. En fait, Hollywood ne fait que s’adapter à la génération des années 90, la rebelle, celle qui désire s’affranchir de ses parents et leur culture pour imposer la leur, à venir, de l’internet et du monde vidéoludique1 : un film de super héros est désormais visuellement élaboré, ayant plusieurs fois recours aux points de vue subjectifs et, surtout, privilégiant davantage l’action à la réflexion.

Batman Returns par Tim Burton

À l’aube des années 2000, Marvel, une des principales maisons d’édition de comics, ouvre la boîte de Pandore en se lançant, à son tour, dans le cinéma, fort de son catalogue de super héros. Pendant près d’une décennie, les salles de cinéma vont être régulièrement envahies par des adaptations, fidèles ou non, aux qualités très variables (des estimables X-Men de Bryan Synger aux affligeants Daredevil, Quatre Fantastiques, Punisher ou Ghost Rider). Mais plus que tout, ces films répondent à un besoin cathartique du public américain : seuls des super héros peuvent soigner le spectre du 11 septembre. Que ce soit Spiderman, les Quatre Fantastiques ou le très emblématique (et peu subtil) Superman Returns2, New York possède son gardien envers et contre tout. Est-ce un hasard si, dans ces films comme dans Iron Man et plus encore dans The Avengers, la menace vient du ciel ?

La fin des années 2000 voit toutefois se télescoper deux tendances majeures du film, dont nous subissons toujours les effets : la normalisation, d’une part, et la crise économique d’autre part. Par normalisation il faut entendre la désacralisation des super héros : Hancock illustre par exemple un super héros ringard, alcoolique, plus catastrophique qu’héroïque en la personne de Will Smith3. mysuperexgirlfriendDans My super ex girlfriend, Uma Thurman joue une Wonder Woman moderne usant de ses pouvoirs pour se venger de son copain l’ayant plaquée. De manière bien plus sérieuse, Watchmen démontre comment des héros (humains, sans pouvoirs, sauf un) provoquent l’Apocalypse pour sauver l’humanité. Plus récemment est apparu un sous-genre, en plein développement : le film « geek » où les héros, désormais, sont des adolescents un peu spéciaux mais aux problèmes très réels (notamment les relations amoureuses : ce sont les excellents Kick Ass et Scott Pilgrim). Ces « héros » ont en commun qu’ils ne sont plus appréciés par la population, qui les ignore dans le meilleur des cas, les répudie le plus souvent. Dernièrement, Chronicle met en scène des adolescents se découvrant subitement des super pouvoirs, avec tout ce que ça peut impliquer de fun mais aussi de catastrophique lorsque l’un d’eux en abuse négativement. Toutefois, l’un des exemples les plus marquants est sans conteste Dark Knight, version très réaliste de Batman (où Gotham City ressemble plus à Chicago qu’à une ville fictive) où le héros n’a de justicier que les apparences, et où ses actions héroïques ne peuvent masquer une profonde torture psychologique quant à son rôle de « héros ». La crise économique est depuis passée par là et n’a fait qu’accentuer cette impression : il est loin le temps désormais où la société pouvait se reposer sur un héros costumé pour la sauver. Aujourd’hui, plus rien ne semble pouvoir sauver le monde de son délabrement. Rien, sauf l’entraide.

En 1932, Frank Capra réalise La Ruée, dont le principe est simple : en pleine Dépression économique, menacée de faillite suite à une rumeur, une banque ne doit son salut qu’au soutien indéfectible de plusieurs clients, unis pour dissuader les autres de retirer leur argent de leurs comptes. 80 ans plus tard, la recette est réemployée, plus subtilement (mais de peu), par Hollywood : si Dark Knight annonce malgré lui cet état d’esprit avec son climax final (des citoyens échappant à la mort car faisant confiance aux autres), c’est devenu aujourd’hui un trait caractéristique du cinéma de super héros : Captain America4 lui-même n’est-il pas aidé dans sa mission par un groupe de commandos ? Stark ne doit-il pas être épaulé de son ami (militaire) lors de la bataille finale d’Iron Man 2 ? Et que dire de The Avengers, dont le principe même est celui de l’association de plusieurs super héros pour vaincre un seul ennemi ? Oui, un être seul ne peut changer la face du monde, mais uni dans l’adversité, le peuple pourra s’en sortir. Un credo qui rappelle bien des messages issus des gouvernements et du FMI…

 



1 Ce n’est pas un hasard si, plus que tout autre, les films de super héros connaissent d’innombrables adaptations et variations en jeux vidéo.
2 La séquence la plus éloquente est, sans conteste, celle du sauvetage d’avion : alors que ce dernier est sur le point de s’écraser en plein cœur de la Big Apple, Superman intervient et sauve à la fois l’avion, ses passagers mais aussi les habitants de New York d’une catastrophe aérienne sans nom… Pour l’anecdote, on notera que la mère de Superman n’est autre, en ces temps de conflits religieux, qu’une actrice au nom prédestiné : Eva Marie Saint…
3 Le super héros noir ou issu d’une minorité ethnique aux USA est également une nouveauté dans le genre ; ils n’avaient, auparavant, que des seconds rôles dans des groupes de héros (X-Men par exemple). Les comics en font également leur nouveau credo, le nouveau Spiderman étant par exemple latino.
4 Ultime symbole de la relecture contemporaine des héros : Captain America, initialement créé dans un but de propagande pendant la guerre, n’hésite pas à critiquer lui-même ce procédé au détour d’une séquence pleine de dérision.

Page : précédente 1 2 3 suivante